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*** DESASTRES... QUI ILLUMINENT WALL STREET
** Le jeu de mot est de circonstance car Fannie Mae et Freddie Mac, tels des astres morts -- après avoir brillé comme des supernovae de 1996 à 2004 -- sont en train de s'effondrer sur eux-mêmes en illuminant Wall Street. Mais cette illumination provient du spectre des rayons X, lesquels révèlent l'ampleur des risques systémiques liés à la bulle du crédit immobilier aux Etats-Unis.
Afin que vous saisissiez pleinement la gravité de la situation, rappelez-vous que le portefeuille de prêts de ces deux établissements para-publics contient au moins 25% de subprime et autres emprunts à mensualités aménagées. Rappelons également que la gestion et le champs d'action de ces deux établissements sont sous le contrôle du Congrès américain et représentent 1 600 milliards de dollars. Ajoutez-y les lignes de crédit pourries de Countrywide puis de Novastar -- tous deux soupçonnés d'une faillite imminente -- et vous obtenez une masse d'argent équivalent au PIB de la France, exprimé en dollar.
Multipliez maintenant cette valeur par quatre et vous obtenez le montant de l'endettement des ménages américains lié à l'immobilier. Prenez 15% de ce total qui est constitué de subprime et 15% supplémentaires de créances à haut risque (taux révisables) et vous obtenez 2 000 milliards de dollars de créances titrisées (une nouvelle fois le PIB de l'Hexagone). Cette somme, à terme, pourrait devoir être passée par "pertes et pertes" -- car aucun profit n'est envisageable ! -- si les prix de l'immobilier devaient corriger globalement de -25%, une hypothèse plausible, d'ici janvier 2010. Quatre ans de consolidation, c'est une période "moyenne" dans le secteur de l'immobilier. La décrue s'est amorcée fin 2005, début 2006 : il va falloir faire le dos rond pendant encore deux ans...
Et chaque trimestre qui passe va se conclure par l'inscription de nouvelles provisions pour pertes potentielles ou avérées. Une perspective qui n'enchante pas les investisseurs détenant les actions de spécialistes du crédit hypothécaire, comme en témoigne l'effondrement de Freddie Mac hier soir (33% d'un coup, 65% en six mois) en réaction à l'annonce de huit milliards de dollars de dépréciation d'actifs, de deux milliards de dollars de perte sèche.
Les analystes s'attendent à une division par deux du dividende et une augmentation de capital imminente. Freddie Mac a mandaté Goldman Sachs pour lever massivement des fonds.
Son plus grand rival, Fannie Mae, plongeait de 25% mardi soir (à mi-séance), soit une débâcle de 43% en une semaine et plus de 50% en une quinzaine de séances de cauchemar.
Dans le même temps, Northern Rock était à l'agonie à la bourse de Londres. Le titre, qui était remonté au-delà de 240 livres début octobre sur l'anticipation d'offres de reprise multiples (Virgin Financial, JC Flowers, Apollo Management, the Blackstone Group) est retombé sous les 100 livres dès l'ouverture mardi matin, Cerberus jetant l'éponge. Puis ce fut rapidement l'hallali, le vent de panique se traduisant par une chute de 40% et l'inscription d'un nouveau plancher historique de 65 livres (soit 50% de baisse en 48 heures).
** Nous n'avons pu nous empêcher de juger surréaliste le rebond de 1% de Wall Street au cours des deux premières heures de cotations. Les opérateurs ont contemplé sans sourciller l'effondrement de Fannie Mae, de Freddie Mac, de l'assureur crédit Ambac Financial, de son homologue MBIA et autres AIG...
Le Dow Jones, qui affichait jusqu'à 150 points de hausse (entre 12 950 et 13 100) n'a pas tardé à déchanter. A la mi-journée, il abandonnait 0,5% dans le sillage de Citigroup, J.P. Morgan et American Express. Pendant ce temps, le S&P 500, lui, décrochait sous le support des 1 430 points. Grâce au sursaut des indices américains, le rebond des places européennes s'est accéléré tout au long de l'après-midi. Le CAC 40 (1,36%) a clôturé non loin des plus hauts du jour (5 516 points) après avoir testé le support des 5 415 points, un niveau équivalent à celui affiché en octobre 2006.
** Pour que le rebond s'amorce en Europe, il aura fallu que la rumeur d'une intervention de la Fed circule dès hier soir, lors de la publication des "minutes" de sa dernière réunion de politique monétaire. Il s'agirait d'un plan d'urgence, une réplique du 17 août en quelque sorte... à ceci près que ce plan contiendrait de forts relents de LTCM car l'enjeu consiste non plus à sauver un fonds spéculatif géré par des "potes" des membres de la Fed et des plus grandes firmes de courtage de Wall Street, mais bien de sauver des établissements de crédit hypothécaires -- et leurs millions de clients et actionnaires -- de la faillite.
Les spécialistes des marchés obligataires sont au bord de la crise de nerfs. Si le rendement des T-Bonds se détend, le coût des refinancements à deux ans sur les émissions du secteur privé atteint un plafond de 18 ans !
** La rumeur d'un coup d'éclat de la Fed aura peut-être fait rebondir Wall Street, l'espace d'une demi-séance. Mais elle envoie le dollar par le fond aussi sûrement qu'une torpille frappant une vedette iranienne frôlant de trop près un pétrolier en route pour le Texas. Ce 20 novembre, le billet vert vient d'inscrire un nouveau plancher historique sous les 1,4810 euro.
L'explication n'est guère difficile à appréhender : le rendement des T-Bonds américains et des Bunds (bons du Trésor Allemand) 2017 est maintenant à parité à 4,07%.
** L'actualité chiffrée du jour se résumait à la publication d'une hausse surprise de 3% des mises en chantiers de logements aux Etats-Unis au mois d'octobre, à un rythme annualisé de 1,23 million d'unités. Rappelons que les économistes tablaient en moyenne sur un chiffre de 1,17 million...
Cette bonne nouvelle a été contrebalancée par le net repli (6,6%) des demandes de permis construire, considérées comme un indicateur de l'évolution future de l'activité de la construction . A 1,18 million d'unités en rythme annualisé, il s'agit de leur plus bas niveau depuis 1993 et les experts s'attendent à l'enfoncement de la barre du million dès le début de l'année 2008.
Paradoxalement, et alors que les organismes de financement immobilier s'effondraient outre-Atlantique, le secteur des foncières s'envolait à Paris avec Unibail Rodamco, Klépierre ou Foncière des Régions (en hausse moyenne de 6%).
** Tout aussi curieusement, le sursaut initial du Nasdaq ne profitait nullement aux technologiques du CAC 40. Alcatel-Lucent a reperdu 0,6% et enfoncé un nouveau plancher annuel à 5,22 euros, un plus bas depuis mars 2003. Même punition pour ST-micro (-1,75%) qui dévissait sous les 10,8 euros (son plancher de mai 2006 et de décembre 1998).
Il semble que les "habillages de bilans" ont commencé. Les gérants ramassent encore, par réflexe, les titres les plus performants dès que la tendance se raffermit... mais ils se débarrassent sans ménagement des canards boiteux, car la priorité est maintenant donnée à l'élimination du risque sous toutes ses formes !
Philippe Béchade,
Paris
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*** CONTRE DINDES ET MAREES
** La question est toujours en suspens. La marée s'est-elle retirée ou non ?
* Nous regardons les bouteilles de bière et les canettes de soda. Flottant à la surface des flots, elles devraient nous indiquer le sens du courant. Mais elles semblent bien incertaines ; bloquées dans des tourbillons et des remous, il est difficile de dire dans quel sens flottent les ordures. Et les marchés n'arrivent toujours pas à se décider.
* Les prêts subprime... et les investissements de pacotille qui en découlent... semblent clairement se retirer. Ils emmènent avec eux une bonne partie des plus-values, des réputations et des carrières les plus brillantes de Wall Street. Bon nombre de dirigeants ont déjà été jetés par-dessus bord. Des centaines de milliards de pertes ont été inscrites ou prévues. Les maîtres de l'univers n'ont plus l'air aussi génial qu'il y a quelques mois de ça.
** Oui, tiens, rappelons-nous les génies du private equity. Lorsque la marée de liquidités mondiales était à son plus haut, aucun navire ne flottait plus fièrement. Mais comme Marx le disait du capitalisme dans Das Kapital, nous pensions que le private equity serait défait par ses contradictions internes.
* Cela n'avait pas de sens. Les investisseurs individuels peuvent sans aucun doute faire mieux que leurs concitoyens de temps en temps. S'ils ont de la chance... et s'ils font leurs devoirs... ils peuvent trouver des entreprises que "le marché" a mal évaluées. Mais l'idée du private equity, c'est que de grandes compagnies d'investissement sophistiquées pouvaient y parvenir opération après opération. Les sociétés de private equity prétendaient être plus intelligentes que tout le monde. Elles pouvaient trouver des actifs de valeur que des millions d'autres investisseurs avaient manqués... Et la vanité ne s'arrêtait pas là : elles prétendaient ensuite trouver des moyens d'améliorer les entreprises qu'elles achetaient -- faisant des changements que, d'une manière ou d'une autre, les précédents dirigeants n'avaient pas réussi à voir ou à mettre en place.
* Quel pain mangeaient ces génies du private equity ? Quel air respiraient-ils ? Comment avaient-ils pu devenir supérieurs à tel point qu'ils pouvaient non seulement repérer les sociétés sous-évaluées mieux que tout le monde... mais également les gérer plus habilement ?
* Pendant un temps, cela sembla presque vrai. Les sociétés privées achetaient des sociétés cotées, leur ravalaient la façade, les chargeaient de dettes et les revendaient aux mêmes investisseurs boursiers.
* Puis les prétentions absurdes se muèrent en contradictions ridicules. Les sociétés de private equity se tournèrent vers les investisseurs boursiers en leur offrant de leur vendre des actions ! "Nous sommes tellement plus intelligents que vous", dirent-ils. "Mais nous allons vous donner le moyen de participer ; nous allons vous permettre d'acheter des parts de notre société".
* Qu'était-ce ? Le private equity allait prendre l'argent des investisseurs pour acheter des entreprises sur les marchés de manière à en extraire tout le jus pour ensuite les revendre aux investisseurs. Combien de temps cela pouvait-il durer ? Pas longtemps. Comme nous l'avions prévu, lorsque les demi-dieux du private equity sortirent de l'eau... ils coulèrent derechef.
* "Si les sociétés de rachat sont si malignes", demandait un titre du New York Times, "pourquoi se trompent-elles autant ?"
* Les raisons de leurs erreurs résident dans la chose même qu'elles sont censées maîtriser : passer des accords. Depuis l'été, lesdits accords partent en lambeaux. Les experts du rachat n'achètent plus. Ils quittent le navire, abandonnant les deals qu'ils trouvaient si merveilleux. Cerberus, par exemple, abandonne un dépôt de 100 millions de dollars plutôt que de poursuivre son acquisition à quatre milliards de dollars d'United Rentals.
* "Les circonstances ont changé", disent les sociétés de private equity.
* Sur ce point au moins elles ont raison. Le problème, c'est qu'anticiper un changement de circonstances, c'est précisément ce qu'on est censé faire, sur les marchés financiers. Les bons accords devraient pouvoir survivre aux changements de circonstances. Parce que les circonstances changent sans arrêt.
** Pensez aux malheureuses dindes ! Non, nous ne parlons pas des pigeons du private equity, ou des trop crédules prêteurs subprime. Nous parlons des dindes, de la variété à plumes. Elles sont -- pardonnez-nous l'expression -- comme des coqs en pâte. Elles mangent bien... elles vivent dans des abris bien tièdes... on leur donne même des soins médicaux. Pour l'instant, la vie des dindes n'est que luxe, calme et volupté. Les choses vont en s'améliorant de jour en jour. Et tout à coup... qui aurait pu le croire ? Dans quelques semaines, tout va changer ; les circonstances évolueront de manière tout à fait dramatique pour une majorité de dindes.
* Nous avons le sentiment que les circonstances ont changé radicalement pour une majorité d'investisseurs aussi. La marée se retire, disons-nous. Mais avec tant de courants qui tourbillonnent ici et là, il est difficile d'en être certain.