Superbe article
d'agoravox
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Kadhafi à Paris : Sarkozy conquiert la cynitude
L’argent n’a pas d’odeur: le truculent et ténébreux «guide de la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste» Mouammar Kadhafi est venu planter sa tente à Paris, tel le premier SDF venu. Sous la toile: des femmes, des fils, des serviteurs et quelques milliards d’euros à dépenser. De quoi faire la bombe.
"C’est tout simplement odieux, c’est très choquant, c’est même inadmissible", (Ségolène Royal). "Aucune signature de contrats commerciaux ne peut légitimer un tel aveuglement de la part de Nicolas Sarkozy", (François Hollande). "Cette visite, c’est l’hommage de la vertu au vice qui, au total, laisse un vrai malaise", (Pierre Moscovici). "La réception du colonel Kadhafi à l’Assemblée nationale est inacceptable", (Jean-Marc Ayrault). "On n’invite pas en visite d’Etat un grand terroriste et un preneur d’otages international comme Kadhafi. Ce n’est pas possible. Dans le pays des droits de l’homme, il y a là quelque chose qui ne passe pas", (Bernard Henri Lévy). On le voit, on l’entend, toutes les lumières de la gauche se sont soudain rallumées, à l’annonce de l’arrivée imminente d’un des plus petits démocrates connus, Mouammar Kadhafi, lunettes noires, toque noire, sourire noir et pensées noires. Le chef d’Etat libyen, qui ne se refuse pas de temps à autre quelques séances de tortures par ci, quelque attentat à la bombe par là, a déjà, par le passé, fait bien des affaires avec la France. Bien avant Sarkozy. Kadhafi sait combien le « pays des droits de l’homme », si cher au mari d’Arielle Dombasle, se plie parfois en quatre sur tapis rouge pour faire la bise à quelque Saddam par ci, quelque Khomeiny par là, toute honte bue, tous principes sous un mouchoir placé. Kadhafi voit bien que la France a toujours eu du mal à dissimuler sa joie de négocier avec de prestigieux bouchers africains, et là non plus, ça ne date pas d’hier, donc de Sarkozy. Mais Kadhafi avait dû comprendre, depuis le mois de mai dernier, sous sa tente dans son désert, à côté de son garage à tracteurs, que l’arrivée des Sarkozy au pouvoir marquait le début d’une nouvelle ère. Et il avait raison.
En juillet dernier, c’est Mme Sarkozy qu’il rencontra d’abord, élégante et persuasive, qui l’invita fermement, au prix au mieux d’une danse du ventre très réussie, au pire de quelques promesses sonnantes et trébuchantes, de libérer les trop fameuses infirmières bulgares, depuis de longs mois enfermées et barbarisées par le régime libyen. Les infirmières finirent donc par voir les portes de leurs cellules s’ouvrir, Mme Cécilia devint plus populaire que son petit homme, et ledit petit homme dut se fendre d’une première visite de réconciliation chez le grand guide suprême du terrorisme international. Une visite au cours de laquelle déjà fumèrent quelques chéquiers, nucléaires, mais pas tous, volant aussi, en euros et en Rafale. Kadhafi sur les photos, à l’époque, jubilait visiblement, derrière ses lunettes ça crevait les yeux. Il jubilait parce qu’il savait que si la « patrie des droits de l’homme » acceptait de lui ouvrir les bras, alors peut-être, la patrie de George W. Bush, patrie des droits du billet vert, n’allait pas tarder à passer un coup de fil. Les infirmières bulgares, l’air de rien, c’était le plus sûr moyen de pression dans la manche de Kadhafi depuis belle lurette. Et manifestement, il a su bien s’en servir. Lui qu’on avait fini par ranger au rayon des obscurs souvenirs à laisser mourir, se vit offrir d’un seul coup une chance de renaissance. Il ne s’en est pas privé. C’est de bonne guerre, comme on dit, d’une guerre « contre le terrorisme », oui, tout contre.
Aujourd’hui, donc, Kadhafi est à Paris, pour faire la bombe, un peu, et surtout signer quelques contrats. En milliard, rien que ça. L’amitié, ça s’achète, en politique, comme ailleurs. L’UMP n’y voit aucun mal, l’ouverture peut-être un peu, avec un Kouchner qui préfère se faire porter pâle au repas de bienvenue. La gauche, évidemment, rue dans les brancards. Et en fait trop. A ce train-là, en effet, et si on les écoute bien, il faudrait dans l’heure cesser toute relation économique avec la Chine, rapatrier Total de Birmanie, rompre toute relation avec Poutine, ne plus téléphoner à Omar Bongo, être sceptique sur l’avenir des relations avec une bonne partie des états africains, j’en passe et des pires. Avec des bons sentiments, la gauche le sait, le Dalaï Lama ne l’ignore pas, on ne fait pas de bonne politique. Et une bonne politique, c’est une politique qui remplit les caisses de l’Etat. Entre autre. C’est une politique qui relance la croissance, réduit les déficits, crée de l’emploi. Tout cela ne va pas forcément de pair avec de grands principes, et ce n’est pas nouveau. La gauche d’aujourd’hui, celle d’hier aussi, celle de demain, le sait, évidemment. Ses indignations de bonne sœur ne sont que pour la forme, et pour regonfler, aussi, un moral en berne, entre un Hollande à l’avenir vide, une Ségolène qui déclare hier qu’il est possible de « gagner l’élection présidentielle sans le soutien d’un parti », un Delanoë qui n’en peut plus de pédaler dans ses couloirs de bus qu’il confond peut-être avec l’avenue de la gloire. Rappelons que Kadhafi se déclare lui-même « socialiste ». Comme Staline. Rappelons surtout que quelques milliards seront toujours quelques milliards, et qu’on ne peut se contenter d’une éventuelle baisse des loyers ou du rachat des RTT pour relancer la machine hexagonale.
Sarkozy, « très heureux » d’accueillir son nouvel ami sulfureux, n’a pas le choix. Les caisses sont vides, les solutions n’existent pas, les conseillers n’ont pas de solution, et à ce train-là les Municipales sonneront l’hallali. Le président est sans solution, autre que celle de ratisser large, le plus large possible, toute honte bue. Que cela plaise ou non au bon peuple, que cela heurte ou non le bon sens, la morale, ou je ne sais quelle vue de l’esprit philosophique érigée en tant que pensée simple et si possible unique, il n’en a cure. Il doit vendre. C’est ça ou la liquidation. Sarkozy est « très heureux », on le serait à moins : il reçoit aujourd’hui son échappatoire à la faillite. A la banqueroute. C’est la politique au sommet de son art : celle, c’est vrai, qui a laissé faire le génocide rwandais ou le massacre de Srebrenica. Loin de la bravitude, une politique pleine de cynitude, mais c’est cela aussi le pouvoir, chère Ségolène.
Alors, oui, ce lundi, les victimes du DC10 d’UTA explosé par Kadhafi se retourneront dans leur cercueil de sable : la raison d’Etat ignore celle du cœur.