Vainqueur de la Coupe Gambardella en 1984 alors qu’il était directeur du centre de formation de Laval, Bernard Maligorne, formateur reconnu, livre son regard d’expert sur la formation et le football d’aujourd’hui à l’occasion des 32e de finale de Coupe Gambardella.
Qu’avez-vous ressenti en voyant ce tirage Brest - Laval en 32e de finale de Coupe Gambardella ? La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est de m’arranger pour y aller et j’y serai.
Que diriez-vous de la politique de formation des jeunes de ces deux clubs ?
Laval continue de bien travailler, il y a un bon climat et de bonnes structures. Laval est en avance sur Brest, il y a une unité, c’est un camp, le centre là-bas. Si on met de côté cet aspect-là, ce sont deux clubs qui demandent beaucoup de générosité à leurs jeunes. Mais, à Brest, rien ne se dessine. Quand on fait le bilan, c’est un énorme gâchis. Pourtant, il y a un plus gros potentiel ici. Je suis persuadé que si Brest avait continué à travailler correctement, il aurait pu devenir un vrai centre attractif dans ce domaine car la région s’y prête. Je ne vais pas avoir la cruauté de le nommer mais quand je suis revenu en 2006 à la formation à Brest, on m’a dit lors d’une réunion technique: "Mais Bernard, tout a changé : ta formation, là, ça n’est plus valable". On m’a fait comprendre que je me faisais des illusions. Je ne m’étais pas vexé, j’avais rigolé, mais, quand même, c’est une aberration d’entendre ça. J’ai souvent l’air de critiquer Brest alors que j’aime bien ce club et j’en ai un bon souvenir. Mais c’est navrant que ça ne marche pas. Quand je suis arrivé à Brest (ndlr: en 1986), Coco Suaudeau m’avait dit: "Vous avez de bons jeunes, il va falloir se tourner vers le Nord maintenant". Vous vous rendez compte tous les jeunes qui sont sortis d’ici: de Le Guen en passant par Ronan Salaun, Pascal Pierre, Corentin Martins…
Et ils jouaient en équipe première…
Oui. Mais c’était aussi par obligation. Car c’est un coût moindre de faire jouer les jeunes. Les Cloarec, Salaun avaient un tout petit salaire mais cela permettait à Yvinec de faire venir des joueurs de qualité à un prix beaucoup plus élevé. (songeur) C’était assez cohérent, finalement. Comment avez-vous débuté en tant que formateur ?
C’est bizarre mais je me suis toujours intéressé au football des jeunes, très tôt. Je devais avoir 21-22 ans, on ne parlait pas encore du métier de formateur et je disais à ma petite amie à Laval : "J’aimerais bien entraîner les gamins". A chaque fois qu’on jouait, je regardais toujours le lever de rideau, je me disais : tiens, untel, il est pas mal. C’est moi qui ai demandé à M. Bisson (ndlr : Henri, président du Stade Lavallois de 1947 à 1986) de m’occuper des jeunes. Il m’a répondu : "Tu crois ? Toi qui es ironique, tout le temps en train de chambrer. Tu n’auras pas la psychologie pour ça..." (rires). Il a réfléchi et puis, hop, c’est parti comme ça. Je vais être honnête : je prends toujours plus de plaisir en regardant un match de jeunes. Regardez un match de 13 ans, c’est d’une richesse. Les gamins font des déplacements spontanés, pas travaillés du tout. On se dit : "Mais, pourquoi ça disparaît après ?" Parce que les messages de certains éducateurs sont catastrophiques. Le bénévolat a parfois des limites dans la préformation. On leur fait faire des matchs, aux gamins, pff. Ils touchent le ballon deux-trois minutes dans un match. Il faut leur faire répéter des gestes, du travail individualisé mais c’est mal vu. Pourtant, quand je vois le niveau technique de certains joueurs en Ligue 1, je suis sidéré. Il faut savoir qu’à 10-12 ans, vous enregistrez les bons gestes mais aussi les mauvais. Et, à 14 ans, c’est très dur de corriger car le gamin, il perd ses repères. Quand on dit qu’un gamin ne sait pas lire au collège, c’est que le travail n’a pas été bien fait avant. L’expression lire le jeu veut bien dire qu’il y a une similitude, non ?
Avez-vous toujours une activité dans le football ?
J’ai cessé l’année dernière mon activité pour le Stade Rennais. Pendant six ans, je me suis occupé du recrutement pour le centre de formation. Je vais voir les 17 ans, les 19 ans, tous les week-ends, ici ou ailleurs. J’ai beaucoup aimé ça même si j’ai aussi été un peu déçu de la politique du club dans ce domaine ces dernières années. Mais, contrairement à ce que l’on imagine, Rennes est un club très convivial, avec des jeunes brillants, comme Dembélé ou Janvier. Dembélé, c’est tout le contraire d’un joueur mécanique, c’est la spontanéité. Mais Montanier s’est un peu fait tirer les oreilles pour les faire jouer. C’est bien d’avoir des bons jeunes mais s’ils ne jouent pas…
Que diriez-vous de l’évolution de la politique de la formation en France durant ces vingt trente dernières années ?
Il y avait déjà une très grande exigence à l’époque et on avait une formation très complète. Aujourd’hui, je dirai qu’elle est sûrement plus solide au niveau théorique mais je ne pense pas que l’on a gagné pour autant. Ce qui a changé fondamentalement, ce ne sont pas les méthodes de formation, c’est la société, et, par conséquent, les jeunes.
Dans quels domaines ?
Les jeunes sont beaucoup moins patients aujourd’hui. Les formateurs doivent en tenir compte, je parle de l’aspect psychologique des jeunes joueurs. On a beaucoup de progrès à faire de ce côté-là. Tout dépend maintenant du rapport entre le gamin et son formateur, son empathie, sa qualité d’écoute, et du rapport entre les deux. C’est aussi valable pour les entraîneurs : il y a une dimension affective dont il faut tenir en compte aujourd’hui. Avant, l’autorité, c’était comme ça et puis c’est tout. Il y a aussi un autre phénomène : la télévision.
La télévision ?
Les gamins voient des matchs tout le temps, sur toutes les chaînes. Il y a un phénomène de mimétisme qui est parasite. Quand un éducateur essaye d’être persuasif, les gamins se disent "cause toujours" car ils pensent qu’ils peuvent faire les mêmes gestes que les grands joueurs qu’ils voient à la télé, ce qui est évidemment une bêtise. Peut-on dire que c’est plus dur de former des jeunes aujourd’hui ?
Disons qu’un formateur a besoin de plus de qualités dans plusieurs domaines. Mais, avant tout, un bon formateur doit savoir anticiper les coups, c’est-à-dire être capable de voir comment le football évolue. On prépare un joueur pour qu’il puisse s’adapter au football d’aujourd’hui mais aussi de demain. Boulogne (Georges, ancien sélectionneur de l’équipe de France de 1969 à 1974 et premier DTN de 1970 à 1982) insistait beaucoup là-dessus. Dans les années 80, il disait : " Il y aura plus de fantaisie de créativité dans les années 2000 ", il ne s’était pas trompé. Un centre de formation doit avoir un côté laboratoire, il faut faire un peu de recherche, sur les qualités premières du footballeur d’aujourd’hui… Un formateur doit être instransigeant sur la gestuelle, les déplacements, les contrôles, les passes... C’est dur, parce que ça tient un peu à l’inné, tout ça.
Vous parliez des qualités indispensables du footballeur. Quelles sont-elles ?
La vitesse est un élément incontournable aujourd’hui. La vitesse sous toutes ses formes : la vitesse gestuelle, de course, d’exécution, de perception, de prise de décision… Avant, on pouvait masquer davantage. Une bonne préparation athlétique ne suffit plus à faire un bon joueur. Il s’enrichit, le football. Moi, je prends mon pied. Quand je vois Messi, c’est invraisemblable. Le football laisse toujours la place à tous les gabarits. A un moment, on a pensé: le football se muscle, alors les petits, non. Au contraire, dans les petits espaces, il faudra toujours des joueurs qui vont vite, qui décident vite.
Quelles évolutions récentes avez-vous constaté dans le jeu ?
Regardez, les gardiens, par exemple. Même Lloris fait partie des petits gardiens. Regardez ces gardiens allemands, ce sont des véritables bêtes. Il y a une évolution morphologique à certains postes mais, en même temps, les petits sont toujours là. C’est ça qui est formidable dans le foot. Suite au titre mondial des Bleus en 1998, avez-vous eu le sentiment que l’aspect physique était devenu le critère le plus important pour former les jeunes joueurs ?
Oui, regardez Griezmann qu’on a boudé en France et qui a éclaté dans un football technique. La France a trop copié. On en est sorti, du tout physique, mais on est tombé dans un truc aussi navrant: on est obsédé par la possession de balle. On regarde le Barça jouer, on ne voit qu’une succession de passes. Or, c’est très travaillé et c’est un travail de dispersion des forces de l’adversaire. On le fait courir pour trouver de la profondeur. Enfin, de la verticalité, puisqu’on parle maintenant de verticalité pour dire la profondeur. Mais si c’est toujours vertical, à un moment donné, je ne sais pas jusqu’où ça va monter (éclat de rire). A un moment, il faut y aller devant le but adverse. Avant, on disait: "Vas-y, passe dans le trou, vous vous souvenez ?" La richesse ce jeu, elle est là: comment arriver vite devant le but ? Alors, il y aura toujours des attaques placées car des équipes défendent très bas et qu’il faut passer par des phases intermédiaires. Mais, à un moment, il FAUT trouver la profondeur. Donc, selon vous, la France copie toujours sur les autres ?
On va encore me dire: pour qui il se prend encore, celui-là ? Mais ce qui est navrant, c’est que la France n’a plus de leaders, comme Batteaux, Arribas, Le Millinaire, Suaudeau, de techniciens dont on peut s’inspirer. Ce que Puel fait à Nice, c’est remarquable, Blanc, aussi, je trouve à Paris, mais de qui peut-on s’inspirer aujourd’hui ? Christian Gourcuff aurait pu être celui-là...
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