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Récemment, plusieurs articles (en particulier du journal «Marianne») dénoncent la dangerosité de la personnalité de Sarkozy. En réalité, le danger provient d’un mélange de trois ingrédients détonants: son projet de société, sa méthode (intimement liée à sa personnalité), et l’état de la France.
Tout d’abord, l’erreur de ses adversaires aura été sans doute de ne pas assez insister sur la réalité de son projet de société.
Fondé sur le culte de la performance, individuelle et collective, ce modèle est explicitement élitiste (sélection à tous les niveaux et renforcement par la fiscalité de ceux qui sont déjà les plus forts). Il peut concerner avant tout les (moins de) 5% de Français, avantagés intellectuellement et socialement, qui pensent que ce projet les mettra en situation d’acquérir des positions dominantes (sociales et économique) ou d’accroître celles-ci. La première question que doivent se poser ces personnes est : souhaitent-ils faire de choix de société pour leur pays ?
En revanche, pour les (un peu plus de) 45% d’électeurs complémentaires qui s’apprêtent à voter Sarkozy, il s’agit d’une duperie.
Ces derniers pensent et espèrent que la politique du "coup de pied au cul", habilement emballée et vendue par Sarkozy, ne concerne que "les autres", responsables de tous les maux, et qu’il faut mettre au pas. Ces électeurs ne se rendent pas compte cependant qu’ils seront eux-mêmes durement touchés par cette politique, qui ne profitera réellement qu’à une toute petite élite.
Pour l’électorat de Sarkozy plus que tout autre, les désillusions qui suivront seront d’autant plus cruelles.
Deuxième élément : la "méthode Sarko", qui découle de sa personnalité. Cette méthode peut se résumer en une phrase : diviser, stigmatiser et opposer les Français les uns aux autres, pour mieux régner.
Car Sarkozy, et c’est en réalité le principal danger qu’il représente, est avant tout celui qui exalte ce qu’il y a de négatif, d’égoïste et de haineux en chacun de nous. C’est aussi ce pourquoi il fascine : il représente le "côté obscur".
En définitive, ce n’est pas tant de Sarko dont nous devons avoir peur, mais de chacun d’entre nous.
Nous portons tous en nous l’envie de couper avec jouissance le monde en deux avec, d’un côté les "bons", et de l’autre les "mauvais", ceux qui donnent tout mais qui ne reçoivent rien, ceux qui prennent sans jamais donner, ceux qui méritent et ceux qui ne méritent pas, ceux qui sont honnêtes et ceux qui truandent. Ceux qui sont avec lui, et ceux qui sont contre lui. Bref, de tout voir en noir et blanc, sans nuance. Et, évidemment, du fond de nous, chacun se voit systématiquement du côté du cheval blanc et vertueux. Le responsable, l’ennemi, c’est l’autre.
Comme dans Star Wars, chacun porte en soi son côté sombre, égoïste, absolutiste et potentiellement haineux. Et, ce qui est en définitive le plus inquiétant, si Sarko passe, je crains que beaucoup de monde ne passe dans ce "côté obscur"...
Cette exaltation de valeurs négatives est bien ressortie au cours de cette (très longue) campagne. Celle-ci a en réalité compté quatres moments forts, qui ont fait mouche auprès des Français :
- un moment démocratique avec les "débats participatifs" de Royal (qui a traduit une demande de « plus démocratique » du pays) ;
- un moment écologique avec Nicolas Hulot (qui nous a fait prendre conscience des menaces qui pèsent sur la survie de notre planète) ;
- un moment de rassemblement et d’union avec Bayrou (avec la notion du nécessaire dépassement des clivages et des postures, pour nous mettre en situation de construire un projet de société à même de répondre aux grands défis actuels) ;
- un moment nationaliste avec Sarkozy (autour de sa proposition de ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale).
Vous remarquerez que les trois premiers moments font apparaître des messages qui exaltent des valeurs positives : plus démocratique, sauvegarde de la planète, rassemblement de toutes nos forces (au passage : cette dernière valeur se fonde sur la force constructive d’un collectif, elle est à l’opposé de l’élitisme basé sur l’élimination de l’autre, aux fondements du projet de Sarko).
Quant au quatrième moment, il exalte au contraire des valeurs négatives : repli sur soi et haine de l’autre, supposé responsable de tous nos maux...
Enfin, dernier élément du cocktail explosif Sarko : l’état de la France.
Notre pays n’a jamais été aussi divisé, fragmenté, en blocs massivement homogènes, les uns face aux autres.
Les plus âgés votent Sarko, contre les plus jeunes qui votent Royal. Les zones pavillonnaires de banlieue sont massivement pour Sarko, contre les cités qui plébiscitent Royal. Les ruraux s’opposent aux villes. Les salariés du privé à ceux du public. Les communautés (religieuses, ethniques, culturelles) les unes aux autres. La gauche à la droite. Ceux qui se lèvent tôt à ceux qui se lèvent tard. C’est bloc contre bloc, dans cette France qui n’aura jamais été aussi hémiplégique.
Cette situation explique tout autant le succès du discours revanchard de Sarko (chaque bloc tenant l’autre pour responsable des problèmes du pays), que le risque que nous font courir ses discours et son projet, qui rendra plus béantes encore ces fractures, et exaltera en chacun ces valeurs négatives. Enfin, la personnalité de Sarko jouera dans l’aventure le rôle de détonateur, en mettant le feu aux barils de poudres qui n’attendent que cela.
Si Chirac aimait à dire que la France, c’est du cristal, Sarko est parti pour tout faire exploser. Il déchaînera les haines et risque de conduire le pays au bord de la guerre civile. La débâcle promet d’être totale : morale, politique et économique.
Ainsi, pour ma part, en tant que "bayrouiste" convaincu au premier tour, mon choix de vote pour le second tour se pose de la manière suivante.
Je préfère confier mon pays aux mains d’une femme aux tendances autocrates et autoritaires, au penchant autistique, insuffisamment préparée à occuper la fonction et secondée par un parti sclérosé et fortement divisé, plutôt qu’à un homme violent, manipulateur, dont les méthodes comme le projet ont toutes les chances de conduire à la ruine (sociale comme économique) de notre pays.
L’abstention ou le vote blanc, qui devrait logiquement tenter l’électeur de Bayrou que je suis, ne seraient à mes yeux qu’une démission civique, qui ne feraient qu’avantager le candidat en tête. La question à se poser, si on envisage l’un de ces non-choix, est alors : 5 ans de Sarko est-il un prix acceptable pour l’expression de son insatisfaction devant l’offre proposée au second tour ? Ma réponse est clairement non.
Je fais donc le choix, en pleine connaissance de cause et sans aucune illusion, d’utiliser le bulletin "Royal" pour faire barrage au pire. Ce n’est certes pas un choix enthousiaste, mais c’est un choix clair, et sans hésitation aucune. Et je vous invite à faire de même.