L'après drame...
Les répercussions furent terribles pour tous ceux qui étaient dans cette tribune ce jour-là.
Certains n’ont pu assister à un match de football avant des années. D’autres allaient à Anfield mais le cœur n’y était pas. Ils étaient comme étranger au match et ne chantaient, les larmes aux yeux, que lorsque le « You’ll Never Walk Alone » résonnait dans le stade.
Damian Kavanagh a écrit son histoire sur Hillsborough. Il était à Lepping Lane End le jour du drame. Il décrit l’ambiance dans la ville de Liverpool les jours qui suivirent : « Tout le monde a été affecté dans la ville. Chacun connaissait quelqu’un qui avait été au match. Ce désastre a touché les gens au plus profond d’eux mêmes. Les Scousers sont connus pour leur passion pour le football. On pouvait ressentir la peine dans l’air. C’était épouvantable. Dans les jours qui ont suivi, Radio City n’a passé que des musiques douces. Ils furent très appréciés pour cela ».
L’unité se fit à Liverpool dans la solidarité vis-à-vis des familles de victimes. Dans un élan de fraternité, les supporters d’Everton et de Liverpool formèrent une longue chaîne humaine d’un kilomètre reliant Goodison Park d’Anfield, mélangeant écharpes bleues et rouges.
L’administration du club et les joueurs furent également très affectés. Dès le lendemain du drame, les joueurs ont décidé d’aller aux funérailles des victimes pour partager l’émotion des familles.
Il y avait bien sur des joueurs de Liverpool (Dalglish, Hansen, Whelan, Mc Dermott, Phil Thompson, Barnes…) mais aussi des joueurs d’autres clubs (Ian Snodin pour Everton, Garry Mabbutt de Tottenham car il était le joueur préféré de l’une des victimes…).
Anfield va servir de mémorial grandeur nature. La pelouse est recouverte de fleurs et l’on ne voit bientôt plus le gazon vert d’Anfield. Le Kop est lui aussi rempli d’écharpes et de fleurs en tous genres. Les gens font la queue pendant plus d’une heure parfois pour pouvoir rentrer dans le stade et se recueillir. Beaucoup craquent sous le poids de l’émotion mais les gens présents et les stadiers tentent tant bien que mal de réconforter les âmes meurtries.
Le 30 avril 1989, le Liverpool FC et le Celtic FC organisent un match amical pour récolter des fons pour bâtir un mémorial. Liverpool l’emporte 5 à 1 mais le score est anecdotique. Ce match fut l’un des plus émouvants de Celtic Park.
La finale de la FA Cup accouche finalement d’un derby de la Mersey. Quoi de plus symbolique qu’une finale entre les deux clubs de Liverpool pour honorer la mémoire des défunts. Gerry Marsdsen chante avant le match le "You'll Newer Walk Alone" suivi du chant religieux "Aibide With Me". Liverpool l’emporte 3-2 après prolongations avec un doublé du remplaçant Ian Rush dans un match chargé d’émotions.
Gerry Marsden chante pour la finale de la FA Cup
[video]http://www.youtube.com/watch?v=KYjJy_YyWQE[/video]
Rush marque le but victorieux
[video]http://www.youtube.com/watch?v=gRlDWZGslMI[/video]
Liverpool est blessée au plus profond de sa chair mais la ville peut compter sur de nombreux soutiens et a su rester digne malgré les coups bas de la presse.
L’abattage médiatique et les mensonges de la presse
Très vite après le drame, les journaux se sont emparés de l’affaire en relatant les dires mensongers du commissaire Duckenfield.
Les journaux, radios et télévisions ont une confiance aveugle dans la police. Il existe pour les médias britanniques une sorte de « hiérarchie de la crédibilité » dans laquelle la police occupe sans conteste le haut du pavé. En effet, depuis les années 1970, celle-ci s’est imposée en projetant une image « sexy » de manière à « façonner l’opinion publique ». Ainsi, le commissaire est le détenteur absolu de cette légitimité.
Alors quand Duckenfield affirme que « les grilles ont été forcées par les supporters de Liverpool, les policiers n’ont pas eu d’autre choix que de les ouvrir », les journalistes anglais reprennent mot pour mot sa déclaration.
Jacques Georges, alors président de l’UEFA, s’insurge de la « frénésie de gens à vouloir entrer dans le stade quelque soit le risque pour les vie des autres ». Quelques mois après, il s’excusa et regretta ses propos.
Pendant les années 1980, les groupes de presse furent rachetés par de grands groupes de communications ce qui a abouti à une concentration de la presse et à une « droitisation » de cette dernière, notamment concernant le Sun. Les journaux et autres médias devenus (ultra-)conservateurs ont alors tendance à croire les représentants de l’Etat juge, l’Etat qui réprime, l’Etat bientôt obsédé par la formule magique de « tolérance zéro ».
Un autre fait qui a suscité tant d’acharnement est l’idée pour un journal d’obtenir un scoop. En effet, la peur que le journal rival tombe sur un événement accrocheur, vendeur, une histoire unique, vous pousse à déformer la réalité. Le tout, bien sûr, sans penser aux conséquences pour des individus déjà blessés dans leur chair par un drame sans précèdent.
L’amalgame entre les hooligans du Heysel qui ont chargé les supporters de la Juventus et les supporters présent à Hillsborough fut monnaie courante. Les familles d’innocents de Hillsborough sont mises sur le même plan que les criminels du Heysel qui « on tués des supporters de la Juventus ». Il faut imaginer le désarroi de ces familles qui ont perdu des proches et qui se voient ainsi traînés dans la boue.
Toute la presse britannique - le Sun et le Sunday Mirror en tête - s’est évertuée à insulter la mémoire de ceux qui venaient de mourir écrasés contre les grilles du stade de Hillsborough. La presse de Liverpool fait bien sur exception, compatissant avec la tristesse de toute une ville meurtrie. Les journaux et les radios locales sont venus en aide aux familles des victimes en leur donnant la parole, en leur offrant un droit de réponse et en mettant en place des lignes téléphoniques pour retrouver les survivants, avoir des nouvelles des blessés, etc…
Les supporters de Liverpool avaient été qualifiés en 1985 après le drame du heysel de "honte de l'Angleterre" par Margaret Thatcher. Ils jouissent à ce moment d'une haine de toutes parts. Les raccourcis sont alors d’autant plus faciles pour une presse à scandale qui n’hésite pas à reprendre les propos du commissaire Duckenfield comme du pain béni.
Le S*n : roi du caniveau
La logique enseignée aux journalistes du Sun est élémentaire. Dès leur recrutement, on leur dit : ne réfléchissez pas et foncez. Dans la rubrique « World’s Worst » (« les pires du monde »), on vilipende quasi quotidiennement les boucs émissaires favoris du journal, c’est-à-dire les minorités de toute sorte : immigrés, demandeurs d’asile, homosexuels…
Grâce à de telles méthodes, Rupert Murdoch permit au Sun de quadrupler son tirage en quelques années, et d’en faire un allié de poids de la politique ultra conservatrice menée par Margaret Thatcher. Vulgarité et propos à sensations étaient devenus les maîtres mots de la rédaction du journal. Les méthodes de travail aussi étaient des plus limites.
Un survivant du drame raconte que pendant que l’on enterrait son frère, on pouvait entendre le crépitement des flashs de journalistes qui grimpaient sur les murs du cimetière. Les clichés des pierres tombales furent publiés en première page quelques jours après.
La presse locale - le Liverpool Echo par exemple - avait fait savoir dès le début qu’elle ne se rendrait pas aux obsèques pour ainsi éviter que des journalistes des pires tabloïds - le Sun en tête - se fassent passer pour des reporters de la presse de la Mersey.
Après Hillsborough, le Sun contacta également des familles en se faisant passer pour des travailleurs sociaux, des membres de l’Armée du Salut, des psychologues ou bien encore des amis d’amis, etc…pour obtenir des interviews exclusives.
En voici un exemple. Lee Nicol fut l’une des victimes de Hillsborough. Un reporter contacta la famille en leur expliquant qu’il avait une photo de Lee agonisant juste avant de mourir. Il dit que si il n’obtenait pas une autre photo de Lee - en écolier par exemple - la rédaction se verrait dans « l’obligation » de diffuser la photo morbide. La famille accepta l’offre - ou plutôt le chantage - du Sun. Le 19 avril, le journal publia côte à côte les deux photos, celle de Lee soutirée à sa famille et celle prise par un reporter le jour du drame. Les Nicol déposèrent plusieurs plaintes mais sans succès.
Le mardi 18 avril 1989, soit 3 jours seulement après le drame, le Sun publia un éditorial très prononcé en faveur des policiers, dénonçant les critiques à leur encontre et s’acharna sur la « horde de hooligans ivres et sans tickets qui a voulu pénétrer coûte que coûte dans le stade ».
Le boycott du S*n
Ce même mardi 18 avril, dans la soirée, Kelvin Mackenzie, le rédacteur en chef du Sun, s’affaire. Mackenzie n’a pas une bonne opinion de la ville de Liverpool qu’il considère comme une ville de gauchistes toujours en grève. Il n’aime pas plus le club du Liverpool FC, étant lui même un fidèle fan de Milwall.
Il demande à Harry Arnold, d’ordinaire spécialiste d’articles sur la couronne anglaise, de rédiger un texte sur Hillsborough qui serait une sorte de résumé de tout ce qui se dit sur l’affaire. Arnold informe alors Mackenzie que la plupart des dires sont des allégations non-vérifiées mais MacKenzie le rassure en lui affirmant qu’il ne mettrait pas tous les supporters dans le même panier.
Le mercredi 19 avril 1989, Kelvin Mackenzie, publie en une et en gros caractères, un article sur la tragédie. Cet article a pour titre "THE TRUTH" et en sous parties "Des fans ont dépouillé des victimes", "Des fans ont uriné sur des braves policiers", "Des fans ont battu des sauveteurs tentant de réanimer".
L’émotion était extrêmement forte à ce moment là puisque ce fut le jour ou les premières victimes furent rapatriés et quelques jours avant les premiers obsèques.
MacKenzie n'hésite pas à dire que des supporters ivres ont attaqué les forces de l'ordre et les services médicaux qui venaient en aide aux victimes. Il va plus loin en affirmant que des supporters ont dépouillé, violé et uriné sur les morts.
Déjà coupable pour la presse de l’époque des 96 morts, les supporters de Liverpool ne seraient rien de plus que des voyous, des « barbares » sans foi ni loi, des « animaux » qui ne viennent que pour se battre etc…
La publication du journal provoque un tollé à Liverpool. S’en est trop pour les habitants de la ville de Liverpool qui se sentent souillés et humiliés. Un sentiment de colère va très vite monter dans les rues de la ville.
Billy Butler, animateur vedette BBC Merseyside, se fit très vite le porte parole de toute une communauté meurtrie par le Sun. Lui et d’autres appellent immédiatement au boycott du journal. Des marchands de journaux mettent alors des pancartes : « nous ne vendons pas le Sun ici ». Tous les appels arrivant à la radio sont de la même teneur : il faut boycotter le Sun.
Voici un exemple concret de réaction spontanée qu’ont pu avoir les gens blessés dans leur chair. A Kirkby, une banlieue ouvrière en périphérie de Liverpool, les habitants aspergent d’essence et brûlent des piles du Sun, pour appeler à la mobilisation du mouvement.
L’actrice Margi Clarke - héroïne du film « Bons baisers de Liverpool » - se déplace pour donner l’exemple. Sa mère, Frances Clarke, conseillère municipale de Kirkby, harangue la foule munie d’un haut parleur à la sortie d’un centre commercial et fait signer des pétitions contre le Sun. Derrière elle, on peut voir des affiches improvisées ou l’on lit : « en mémoire des victimes : n’achetez pas le Sun ».
Kenny Dalglish eu Kelvin MacKenzie au téléphone peu après les « révélations » du Sun. L’écossais demanda au rédacteur en chef du journal de titrer « WE HAVE LIED » (nous avons menti) avec les mêmes caractères que la une « THE TRUTH » (la vérité) et lui affirmant que c'était la seule solution pour réparer leur erreur. MacKenzie lui répondit que c’était impossible.
A Liverpool, la grande majorité des diffuseurs de presse ont refusé de stocker le moindre exemplaire du journal, certains ont refusé d'acheter le moindre magazine dans un point-presse qui mettrait ce titre en vente, d'autres ont annulé leur abonnement sur-le-champ.
Après quelques semaines, les ventes du Sun passèrent, pour la Merseyside, de 524.000 à 320.000, soit une perte sèche de près de 40%.
Dans beaucoup de quartiers, les libraires réduisent de 80% leurs commandes du journal.
Murdoch, réalisant que ce boycott n’était pas simplement un fait d’humeur et qu’il commençait à perdre de l’argent, intima l’ordre à MacKenzie de « faire quelque chose ».
MacKenzie s’exécuta le 30 juillet 1989 sur les ondes BBC Radio Four et présenta ses excuses mais elles ne furent pas acceptées par la population. Selon Linda McDermott, journaliste à Liverpool, « un tort incalculable a été causé et il est clair qu’aucune excuse n’y pourra rien changer ».
Selon un rapport, le boycott du journal à Liverpool coûta, entre 1989 et 1990, près de 10 millions de £ au groupe News Corporation de Rupert Murdoch.
Selon une estimation de 2005, Murdoch aurait perdu dans cette affaire plus de 100 millions de livres.
Aujourd’hui le boycott est toujours présent même s’il a perdu de sa force. Certains libraires refusent toujours de vendre le moindre exemplaire du journal.
Tous les ans, le Hillsborough Justice Campaign organise un boycott massif du Sun, chaque 15 avril, date anniversaire de la tragédie.
Robert Wearing, députe travailliste de West Derby, décrit ce sentiment de rejet du journal : « Beaucoup de monde a été insulté ce jour-là. Un nombre considérable de gens n’achète toujours pas le Sun à Liverpool, et il est clair que le journal se vend beaucoup moins bien que dans d’autre villes du Nord comme, Manchester ou Newcastle ».
Le 7 Juillet 2004, le Sun présente finalement des excuses pleines et entières et affirme avoir commis l'erreur la plus terrible de son histoire. Mais pour la plupart, ces excuses interviennent beaucoup trop tard et elles ne sauraient effacées des années et des années de mépris et de mensonges de la part du Sun.
Le rapport Taylor
Deux jours après la catastrophe, le juge Taylor fut alors chargé par Douglas Hurd, ministre de l’intérieur du gouvernement Thatcher, de mener l’enquête.
Quatre mois après, le rapport Taylor conclut que la tragédie de Hillsborough aurait pu être complètement évité. Le juge Taylor mis en causes les failles graves dans le système mis en place par la police, en particulier s’agissant du contrôle des supporters, du filtrage, de la gestion de la foule et de la présence des forces de l’ordre en dehors et à l’intérieur du stade.
Le commissaire David Duckenfield en pris pour son grade, notamment dans la gestion du flux des supporters. Il faut dire que ce dernier ne fut nommé que deux semaines avant le drame et qu’il n’avait aucune expérience des grandes rencontres de football. Son prédécesseur, Brian Mole, commissaire chevronné en la matière, fut muté peu de temps avant le match pour une sombre histoire de bizutage entre deux jeunes officiers.
Autre constat, les supporters de Liverpool n’avait reçu de la part de la FA que 15.000 places contre 21.000 pour les fans de Forrest ! Liverpool avait en effet hérité de la tribune visiteur plus petite que celle du Kop de Sheffield attribué aux supporters de Forrest. Ce qui peut expliquer le fait qu’un certain nombre de fans reds sont venus au stade sans ticket.
Quand on connaît l’engouement de la red army pour un match de Liverpool, le nombre de places attribuées apparaît comme famélique. A moins que Mme Thatcher ne voulait pas voir trop de « dangereux » supporters traînés aux alentours d’Hillsborough. L’explication donnée par les autorités et la FA était que le Kop de Sheffield était plus accessible pour les fans de Forrest, qui pouvaient sortir plus facilement pour reprendre l’autoroute. Mais ceci n’est pas une réponse cohérente. Et elle n’en sera jamais une.
De plus, le contrôle des billets avant le stade fut aussi négligé, ce qui permit aux personnes sans billets de venir se fondre dans la foule aux abords de la tribune.
Mais le pire, c’est que le Hillsborough stadium avait connu des incidents similaires l’année précédente lors du match de demi-finale de Cup entre…Liverpool et Nottingham Forrest. Le match avait été ainsi retardé parce que tous les supporters n’avaient pas pu entrer dans le stade. Des supporters avaient alors envoyés de courriers de plaintes et de mises en garde. Ils ne furent pas entendus...!
L’obsession du hooliganisme a aveuglé les autorités sur les vrais enjeux sécuritaires comme le raconte Le Monde à l’époque : « Le stade de Hillsborough est plutôt conçu pour éviter les troubles entre supporters. Mais ils semblent que les organisateurs ont été victime de leur phobie du hooliganisme : cela les a amenés à transformer le stade en gigantesque piège. Destinées à prévenir toute invasion de la pelouse, les grilles de protection hérissées de piques ont tué de simples supporters ».
La vétusté des installations fut aussi mise en cause. En exemple, lors du drame, Glyn Philips, un docteur de Glasgow présent à Lepping Lane end, s’est saisi d’un des seuls réservoirs a oxygène afin de réanimer une victime, mais le réservoir était vide…
Autre exemple, les lignes radio reliant les organisateurs du match furent coupées quelques minutes avant le drame. Cette impossibilité de communiquer provoqua la décision fatale de permettre à l’immense foule massée au dehors de pénétrer dans la tribune déjà pleine à craquer.
Le rapport a donc établi plus tard que, contrairement à ce qu'a publié le Sun, la tragédie était due à la mauvaise organisation des autorités et non pas à de quelconques agissement de hooligans.
_________________ The Quake
|