Début janvier, un garçon de 12 ans d'origine éthiopienne avait été des heures durant brutalisé par des sympathisants d'extrême droite, près de Magdebourg (centre-est).

A Berlin, des enseignants capitulent devant la violence

Pierre Bocev
01 avril 2006, (Rubrique International)

Les professeurs de l'arrondissement défavorisé de Neukölln ont demandé aux autorités de «dissoudre» leur collège.

IL Y AVAIT LA FICTION : Knallhart («brutal»), un film sorti il y a deux mois qui décrivait les humiliations infligées par ses condisciples à un écolier transféré des beaux quartiers de Berlin-Ouest vers un établissement dans l'arrondissement défavorisé de Neukölln. La réalité a rattrapé le cinéma : à Neukölln précisément, pour la première fois, les enseignants d'une école ont capitulé devant la violence et appelé les autorités de tutelle à «dissoudre» leur collège.

De dehors, l'école Rütli a l'air banal à souhait. Façades refaites derrière la grille, une seule inscription griffonnée sur le mur, en turc. Mais à l'entrée de l'impasse qui mène vers le bâtiment, une voiture de police est symbole de tension. Le cri d'alarme des enseignants est sans précédent. «Certains collègues ne vont plus dans les classes qu'avec leur téléphone portable pour pouvoir appeler à l'aide». A l'école, «des portes sont défoncées, les poubelles utilisées comme ballons de football, des pétards sont tirés.» Les parents d'élèves «ne viennent pas aux rendez-vous et les coups de téléphone se heurtent à l'absence de maîtrise de la langue allemande». Car sur les 226 élèves du collège Rütli, 83,2% sont issus de familles d'étrangers avec, dans les cours de récréation, une forte rivalité entre les enfants arabes et turcs. «Si on n'est pas d'accord, on se bat», explique un jeune en haussant les épaules devant l'ingénuité de la question.

«Bouffeurs de cochon»

Les rares Allemands du cursus, selon la lettre des enseignants, se font traiter de «bouffeurs de cochon» et feignent de simplement baragouiner leur langue maternelle pour ne pas se faire remarquer. Quant aux adultes, ils sont confrontés à «l'agressivité et au manque de respect». Lorsque l'affaire a été rendue publique, jeudi, les réactions ont été à fleur de peau. Les premiers journalistes arrivés sur place ont été accueillis par des jets de pierres, des gestes obscènes et des hurlements. Depuis, grâce aussi à de premières actions de pacification des autorités scolaires de Berlin, le calme est peu ou prou revenu. Les jeunes interrogés hier à la sortie de l'école ne nient certes pas la violence, mais ils tentent de minimiser. «On a exagéré», dit l'un. «Ce n'est qu'une minorité», ajoute l'autre.

Il n'en reste pas moins que la directrice de l'école, Brigitte Pick, est en congé maladie depuis la rentrée de l'an dernier et qu'elle vient de prendre sa retraite anticipée. Les jeunes, fait-elle valoir l'air las derrière ses fines lunettes, n'ont «aucune perspective d'avenir». Après l'école, pas de boulot.

Rütli est une Hauptschule, le type d'établissement réservé aux adolescents à background social difficile, souvent des étrangers. Une école d'apprentissage, un simple collège au niveau bien inférieur à celui des écoles professionnelles et, bien entendu, des lycées qui seuls mènent au baccalauréat.

Dans les quelque 5 300 Hauptschulen allemandes, ils sont 22% à l'âge de 15 ans qui ont du mal à lire les textes même les plus simples. Dans leur lettre, les 31 enseignants expliquent que «dans la plupart des familles, nos élèves sont les seuls à se lever le matin. Comment leur expliquer qu'il est quand même important d'aller à l'école ?» Un nouveau directeur d'établissement prendra ses fonctions lundi. Deux conseillers sociaux ont été nommés, l'un arabophone, l'autre turcophone. Un jour, la voiture de police partira, et Rütli ne fermera pas. Mais le fond du problème demeure. L'immigration trop longtemps ignorée, explique Stefan Luft, un universitaire de Brême, a conduit à l'établissement de «colonies ethniques» dans les quartiers défavorisés, dotées de leurs propres infrastructures dans la langue d'origine, de la télévision au coiffeur en passant par l'avocat. Il n'y a donc «aucune motivation pour apprendre la langue du pays d'accueil». C'est la ghettoïsation.
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Vos deux articles font flipper :/
Je ne voyais vraiment pas l'Allemagne comme ça...