Interview de Michel Jestin par Pak, pour la page Facebook "Ici c'est Brest" :Amis supporters, je vous proposerai un entretien avec une personnalité ty'zef tous les mois. Qu'ils aient servi ou pas pour le Stade Brestois 29, je vais essayer de leur faire raconter ce qui nous anime tous : la passion. Pour commencer cette série, je ne pouvais choisir qu'une seule personne, celui qui aura une empreinte indélébile à la présidence du SB29 : Michel Jestin (Mich' pour les intimes).Pak' : Pour commencer, est-ce que tu peux m'expliquer comment tu as découvert le foot ? Comment est venue cette passion pour le foot ? M. Jestin : C'était tout gamin. Pour nous à cette époque, ça va faire un peu vieux guerrier ce que j'explique, mais dans les années 60 il n'y avait pas d'école du foot. Donc tu jouais avec un mur, ballon contre le mur, matin, après-midi. Et j'ai commencé à jouer au foot en benjamin à St Jo à Morlaix. En cadets, j'ai signé à Sizun car j'y habitais, et je me suis retrouvé en équipe première, surclassé. Et après j'ai joué aux Gars de Morlaix, puis j'ai fini comme joueur à Ancenis avant d'y être président à 33 ans. J'étais un passionné de foot, bon j'étais pas un grand joueur du tout, mais j'étais polyvalent. J'ai commencé gardien dans les petites équipes, j'ai joué avant-centre... à Morlaix, j'ai joué arrière latéral et j'ai fini avant-centre parce que celui qui jouait à ce poste était pas bon, et on s'est sauvé grâce aux cinq buts que j'ai mis dans les trois derniers matchs ! Puis surtout, dès l'âge de 12 ans, j'achetais France Football toutes les semaines. Franchement j'étais une encyclopédie du football, je connaissais tout. Mon idole c'était Edson Arantes Do Nascimento dit Pelé. Ça c'était mon idole que je suivais de près ; et après dans les années 70, c'était Johann Cruyff qui me sublimait comme joueur. Mais je vais t'expliquer pourquoi j'avais une âme de dirigeant : déjà comme joueur en 1978, j'ai fait le tour du terrain, j’avais 26 ans, et j'ai vendu des panneaux publicitaires. Et donc sans le savoir, j'avais décidé un jour d'être dirigeant. Mais ouais, je suis un grand passionné de foot...
Pak' : C'était le jeu en lui-même qui te passionnais ou tu n'avais pas déjà une équipe qui te plaisait ?M.J : Non, je suis devenu supporter après. J'ai commencé à supporter Brest en 67 à 15 ans, j'y allais avec le maire de Sizun. Mon papa n'était pas fan, mais à 10 ans il m'a emmené voir un grand match à Rennes, et ça m'a beaucoup marqué. J'avais été voir Rennes-Reims, 2-2. Reims, c'était la grande équipe de l'époque. Et ce qui m'avait marqué, c'était Raymond Kopa qui avait jeté de colère son brassard de capitaine. C'est quelque chose tu vois qui m'avait énormément marqué, et j'ai eu la réponse bien plus tard avec Jean Vincent, ancien attaquant de Reims et entraîneur de Nantes avec qui j'étais devenu copain quand j'étais à Ancenis, qui m'a donné l'explication : c'était un drame familial qu'il avait eu avec un de ses enfants, son fils venait de mourir de la leucémie, et lui était à bout de nerfs... Le public l'a poussé, et il a piqué une crise. Mais quand t'es gamin, c'est des choses qui te marquent à vie. T'es là en face, je le vois enlever son brassard... c'est incroyap' ça. Après le foot, je le vis au quotidien.
Pak' : Donc c'est plus cet univers qui t'y a fait plonger, quelque soit le club... :M.J. : (il coupe) Ouais, mais après j'ai un club de cœur, faut être réaliste. C'est le Stade Brestois. Je te dis à partir de 1967, j'y venais. J'ai fait pendant deux ans les matchs de l'A.S.B., avec le maire de Sizun, et quand le Stade est passé en DH, je suis devenu un fidèle même si je suis parti à Ancenis, à Vannes, aujourd'hui à Concarneau. Après, la passion du foot... le mot jamais n'existe pas, mais après Vannes, je me disais « j’ai fait 26 ans de présidence, je vais arrêter, je vais faire autre chose, de l'humanitaire »... je continue à faire de l'humanitaire, mais si je reviens dans le foot, c'est parce que je suis un passionné, et j'ai encore envie de réaliser à 67 ans des choses dans le football. J'ai encore besoin d'un challenge, le management du foot me manquait.
Pak' : C'est un truc dont tu as besoin pour vivre ? M.J : Oui ! Pas pour exister ! Mais j'ai besoin d'être au contact. Au stade, je vais saluer les joueurs. Quelques fois, t'as envie d'aller dans les vestiaires (rires).. mais je n'avais rien à y faire, j'y ai jamais mis les pieds, mais ouais cette ambiance, au bout d'un moment ça te manque. Après pour la passion du foot, j'ai fais six coupes du monde, je suis allé voir un peu de matchs à l'étranger... Ma première coupe du monde que j'ai fais, c'était 1982. On était 3 français seulement, 3 copains, à aller à l’entraînement tous les jours à Becerril, au dessus de Madrid. J'ai fais un film, que j'ai retrouvé récemment, et c'est extraordinaire ! Y'a des entraînements... J'en discutais avec Benoît Cauet hier, je lui expliquais les entraînements de l'époque... aujourd'hui tu vois ça, tu rigoles ! (rires). C'est des tours de terrain, des étirements, ils se tirent les bras... c'est folklorique ! Mais bon c'était comme ça à l'époque !
Pak' : Justement, toi qui est un passionné de longtemps, quand tu vois cette évolution du football, t'en penses quoi ? M.J. : Ah bah c'est Football Business aujourd'hui. Déjà, on voit l'évolution avec le nombres de clubs appartenant à des étrangers. Dans cinq ans, il y'aura sur 40 clubs pro L1-L2, y'en aura 20 qui vont appartenir aux chinois, aux américains ou aux thaïlandais, ou qataris ou qui tu veux... Ça c'est clair. Le football n'appartiendra plus aux patrons français, c'est écrit d'avance. Donc les relations en interne dans les clubs changent aussi. Des présidents à la Loulou Nicollin, c'est mort ; Aulas, c'est le dernier des Mohicans... c'est comme ça, c'est l'évolution. Malheureusement, on ne peut pas y faire grand chose. Après, les gens quand ils viennent aux matchs, ils viennent au spectacle. Après, si le spectacle s'améliore, tant mieux. Le football anglais s'est beaucoup développé parce qu'il y'a eu beaucoup d'argent. Je regarde régulièrement trois matchs de foot anglais par week-end, c'est vrai que c'est du haut-niveau. Si tu regardes les matchs du top 5, c'est vraiment des gros matchs. C'est pas toujours le cas en France.
Pak' : Tu as connu les deux mondes : le foot amateur et le foot pro. Les deux, ils sont si différents que ça ? M.J. : Ils sont différents de par l'évolution. Aujourd'hui, un joueur... Prends le cas de Pépé par exemple. Il y'a deux-trois ans, il était inconnu ; il a fait une bonne saison à Angers, ils l'ont vendu 15 ou 20 millions. Et là tu vois, Lille va le revendre 80-90 millions ! Aujourd'hui, on est dans cet esprit de faire du business. Qu'on veuille ou qu'on veuille pas. Brest aujourd'hui mise sur des Diallo, des Perraud, c'est très bien. C'est aussi dans l'espoir peut-être de bien les vendre un jour. Aujourd'hui, si les clubs veulent des revenus complémentaires et supplémentaires importants, c'est la seule façon. Tu vas pas doubler tes revenus publicitaires, tu peux les monter de 10, 20 % peut-être. Mais oui, aujourd'hui les clubs misent beaucoup la-dessus.
Pak' : Et c'est pas un truc que toi tu regrettes ? Ou t'es fataliste ? M.J. : Non, je suis réaliste. Après, la question par rapport à ce que tu viens de dire, c'est est-ce que toi tu as ta place dans ce système ?
Pak' : Oui car je pense sans trop me tromper que tous ceux qui t'ont connu comme Président... bon t'étais le Président, ça ok. Mais on t'a toujours considéré plus comme un supporter qu'un Président. Parce qu'il y avait cet échange qui était important. Bon parfois, il était costaud (rires) mais c'était franc et direct, et les gens étaient attachés à ça aussi. Est-ce que ce genre de relationnel, malgré l'évolution du foot, il est tenable... M.J. : (il coupe) Mais tu sais, tout ça dépend des hommes. Ça dépend de leurs conceptions. Moi, là je suis parti à Concarneau, je vais garder cet esprit. Après, c'est de la N1, mais je vais garder cet esprit car ça me convient parfaitement. Si le Stade Brestois évolue en L1 dans une autre configuration et que ça fonctionne, ça se respecte. C'est l'évolution. Après, très honnêtement, je donne énormément d'importance aux supporters, aux clubs de supporters. Si on prend le cas concret toujours de Brest, c'est vous qui mettez l'ambiance. Heureusement vous êtes là ! Quand vous mettez l'ambiance, moi je suis à Foucauld, bah Foucauld vous suit. Et si vous faîtes rien, personne ne fait rien. Pour moi l'importance des clubs de supporters, elle est déterminante. Le dialogue doit être en permanence ; après, quand il y a des excès... bon j'ai jamais vécu d'excès avec les supporters...
Pak' : ah... j'ai souvenir d'une réunion où on s'est engueulé parce qu'on avait été un peu loin avec nos joueurs... M.J. : ouais, mais on s'est expliqué !
Pak' : on s'est expliqué chaudement même ! On était convoqué dans ton bureau, je peux dire que tous ceux qui étaient présents ce jour-là, on se souvient quand tu t'es mis en colère. Et comme moi, j'avais pas non plus l'intention de lâcher le morceau, j'ai encore souvenir d'un de mes collègues Ultras qui pensait que l'un de nous deux aller partir en free... (rires) M.J : Mais bon la preuve, c'est qu'on est là ! (rires) Au contraire, des fois ça fortifie les relations.
Pak' : Je peux te dire quand c'était ? C'est la toute dernière réunion que tu fais en tant que président avec les supporters. C'est la fois où on envoie chier Goursat également. Et t'étais partagé finalement entre la colère et …. M.J. : Bah ouais ! Pour moi, les supporters, c'est déterminant dans un club.
Pak' : Toujours sur la passion, t'es un grand dirigeant de foot, mais t'es aussi un entrepreneur et tu t'es aussi lancé dans l'humanitaire. Est-ce que tu retrouves dans ces autres vecteurs la même passion que tu exerces dans le foot ? M.J. : C'est une très bonne question. L'humanitaire, c'est difficile d'expliquer quand tu n'as pas été là-bas. Mais lorsque tu y vas, que tu as vu la misère des gens, que tu leur as apporté des choses.... tu as les mêmes larmes qu'au football. Je ne sais combien de fois j'ai pleuré de joie à Brest. Et dans l'humanitaire, y a des moments où tu es obligé de craquer. Tu vois des choses, des gens qui n'ont pas d'eau, des femmes qui accouchent dans des conditions terribles, …. niveau hôpitaux, je ne t'en parle pas tellement... quand tu vois des gens dans les chambres dormir sur le sol, fracturés de partout... Bon ben quand 15 jours après, t'as réussi à amener des matelas pour tout le monde, aux 50-60 personnes qui restaient avant par terre... putain déjà là tu te dis, tu as réglé une partie du problème. Tu ne peux pas les soigner car t'es pas docteur, mais ils peuvent dormir sur un matelas. Putain quand tu as fait ça, c'est déjà beaucoup mais tu peux en faire plus. En cinq ans, j'ai fais 90 projets, c'est énorme. Ça y'a pas d'équivalent en France, tu trouveras personne qui a fait ce que j'ai fait en 5 ans. Je partais dans l'inconnu pourtant, je partais de zéro. Mais quand j'ai voulu arrêter après Vannes, c'était uniquement pour me consacrer à ça. Et c'était donc transmettre la passion que je pouvais avoir au foot à d'autres personnes mais de façon très humaine. Je suis vraiment heureux d'avoir fait ça, je te jure. Putain, c'est un grand bonheur même.
Pak' : Et c'est le même type de passion ? M.J. : La finalité est la même. Pour moi, le football, c'était de donner du bonheur et du rêve aux gens. Ça a toujours été ça. Personne ne pourra me dire le contraire. L'argent, je m'en foutais. Et la finalité de l'humanitaire, c'est donner aussi du bonheur à des gens qui n'ont rien du tout. Un stade, quand tu joues bien et que ça gagne, les gens quand ils repartent, ils sont vachement heureux. Vous, vous allez chanter, vous allez pousser le reste du public, on est tous heureux après une victoire. Quand tu réussis une bonne action dans l'humanitaire, c'est pareil.
Pak' : Une passion, c'est parfois aussi débordant. Ça impacte aussi sur l'entourage. Est-ce que parfois ça a été compliqué ? M.J. : Ce qui est toujours compliqué, quand tu as vécu des choses fortes avec un entraîneur par exemple, et que tu dois t'en séparer, ça c'est douloureux. Si je prends le cas avec Albert Rust ou Stéphane Le Mignan, ça a été douloureux. Bon après faut connaître les raisons, par exemple avec Le Mignan, on avait été jusqu'en finale de la coupe de la Ligue, il avait un contrat de 5 ans, il veut partir au début de la 5ème à 3 jours de l'ouverture du championnat. Donc après tu as une cassure... Mais forcément quand tu as une relation forte avec les gens, et qu'à un moment ça doit casser, oui c'est douloureux. En plus, j'avais un métier prenant. Je travaillais avec 54 pays dans le monde. Donc j'y suis allé avec mes valises un à un les conquérir. Et quand arrive le week-end, direct c'est foot. Après, c'est comme ça...
Pak' : Finalement, cette passion-là, quelques soient les soucis, ça t'a toujours motivé... M.J. : Toujours ! Mais ça a toujours été un vecteur positif, parce que le boulot, c'est jamais simple. Et moi le foot, ça m'a toujours aidé à aller de l'avant. La preuve, c'est que là, je te dis, je me remets maintenant, j'ai besoin d'un projet. J'aurai aimé que ce soit ici, mais c'est comme ça.
Pak' : dernière question, en tant que passionné, tu mises quoi pour le Stade cette année ? M.J. : Bon je pense que le recrutement n'est pas terminé, j'espère qu'ils vont pouvoir recruter deux-trois joueurs de bon niveau L1. Et après, ils vont se maintenir. C'est important car c'est l'année la plus cruciale... bon on parle d'argent, mais les droits TV doublant presque l'année prochaine, l'année est déterminante. Les matchs amicaux, ça reste les matchs amicaux, mais on voit qu'il y a une osmose dans cette équipe, qu'elle est équilibrée. Le coach, il connaît bien la L1. Il a fait Dijon. Dijon c'était difficile, c'est pareil que Brest : pas un grand club, pas de gros moyens, et il l'a maintenu à flots pendant cinq ans. Donc il a une bonne expérience. Et y'aura le public. De toutes façons, ce qui est important à Brest, c'est un nouveau stade. C'est inconcevable de faire la L1 avec un stade obsolète.
Pak' : Malgré son âme passionnelle ? M.J. : Ouais, il y a son âme ! Après, un stade en ville, je suis plutôt pour. Ça peut être une solution. Beaucoup disent qu'il y a un problème de stationnement, mais au final, t'as pas un mec en retard au coup d'envoi s'il a pas envie d'être en retard !
Pak' : Ouais on est plus en retard car on est resté trop longtemps au Péno (rires). M.J. : Mais tu sais, si pour X raisons, le stade au Froutven ne devait pas se faire, il y a possibilité de le refaire ce stade. Les gens, ce qu'ils veulent c'est des bonnes conditions. C'est sur Arkea, avec ses poteaux, les gens qui se lèvent parce qu'ils ne voient pas dans les coins... j'y étais une année, non c'est sûr, c'est pas toujours agréable. Pour faire venir les familles, c'est pas simple.
Pak' : et vraiment dernière question, l'objectif de Concarneau ? M.J. : L'objectif, c'est le premier tiers du championnat. Après, faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Là aussi, il y a un stade à mettre aux normes ; il y a 2000 personnes à chaque match, il y en a 800 qui sont debout. Pas comme chez vous en tribune parce que c'est votre choix, ils sont debout parce qu'ils peuvent pas s'installer ailleurs. Et je suis sûr qu'il y aurait plus de monde si l'accueil était plus important. Après, il y a plein de choses à faire, c'est ce qui me passionne. Et on va le faire !
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