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TÉMOIGNAGE. « Partager la vie d’un entraîneur, c’est ne jamais rester longtemps quelque part » Cécile Traverse, 47 ans, est la chroniqueuse de Prolongation depuis plusieurs semaines. Depuis presque 20 ans, elle est la compagne de Jean-Marc Furlan, entraîneur de l’AJ Auxerre, passé par Troyes, Strasbourg, Nantes et Brest. Elle est aussi docteure d’université, enseignante en psychologie du sport et intervenante en préparation mentale auprès de sportifs de haut niveau. Tous les vendredis, elle vous plongera dans son quotidien avec un regard sincère, inédit et lumineux.
Depuis quelques semaines, Cécile Traverse est la chroniqueuse de Prolongation. Docteure d’université, enseignante en psychologie du sport et intervenante en préparation mentale, elle partage la vie de l’entraîneur de football de Jean-Marc Furlan. Ce vendredi, elle vous raconte leur « vie de nomades ». Depuis quelques semaines, Cécile Traverse est la chroniqueuse de Prolongation. Docteure d’université, enseignante en psychologie du sport et intervenante en préparation mentale, elle partage la vie de l’entraîneur de football de Jean-Marc Furlan. Ce vendredi, elle vous raconte leur « vie de nomades ». | DR Afficher le diaporama Ouest-France Cécile TRAVERSE(recueilli par Clément COMMOLET). Modifié le 15/04/2022 à 18h06 Publié le 15/04/2022 à 06h02 ÉCOUTER LIRE PLUS TARD Pour explorer le métier d’entraîneur, le décrire avec précision et justesse, Prolongation a fait appel à Cécile Traverse. Jamais une compagne d’entraîneur de football ne s’est confiée ainsi. Pour sa sixième carte blanche, elle raconte leur « vie de nomades », composée de six grands déménagements en vingt ans de vie commune. Parmi les villes où ils ont séjourné, il y a Brest, à laquelle elle déclare sa flamme.
« Avant de m’embarquer dans cette vie, je n’avais pas conscience que nous bougerions autant. Peu importe : j’avais déjà ce mouvement perpétuel en moi. Mes parents ont divorcé lorsque j’étais jeune, j’ai vite pris l’habitude de vivre entre deux maisons. Aussi, je tiens de ma maman qui a toujours aimé déménager, s’approprier un nouveau lieu, le décorer. À partir du moment où elle s’est séparée de son compagnon en 2004, elle a décidé de nous suivre dans nos pérégrinations avec Jean-Marc. Depuis, elle a toujours habité près de chez nous.
De son côté, Jean-Marc bouge de ville en ville depuis le début de sa carrière de joueur. Rendez-vous compte : en quarante-cinq ans, il a connu 15 villes différentes. Nous disons souvent que nous sommes des nomades, des forces d’adaptation, capables de faire nos valises en troisième vitesse et de tout laisser derrière nous. Nous emballons les cartons tous les trois ans, en moyenne. Dans ces moments-là, nous sommes partagés entre la crainte de partir et l’excitation de découvrir. Avec le temps, cette facette s’est inscrite dans nos gènes et je suis persuadée que ce « remue-ménage » est davantage une chance qu’une contrainte.
Cécile Traverse : « Avec Jean-Marc Furlan, nous emballons les cartons tous les trois ans, en moyenne. Dans ces moments-là, nous sommes partagés entre la crainte de partir et l’excitation de découvrir. » Cécile Traverse : « Avec Jean-Marc Furlan, nous emballons les cartons tous les trois ans, en moyenne. Dans ces moments-là, nous sommes partagés entre la crainte de partir et l’excitation de découvrir. » | OUEST-FRANCE/FRANCK SEUROT Il n’empêche : certains départs sont des déracinements, des déchirements. En vingt ans avec Jean-Marc, deux exils ont été bouleversants, pour des raisons différentes. Le second départ de Troyes, en décembre 2015, a été particulièrement difficile à cause du contexte professionnel et du changement de comportement de plusieurs personnes au sein du club et en dehors. Jean-Marc était en poste depuis 2010, après un premier passage de 2004 à 2007. Avec du recul, nous avons fait la pire erreur possible dans le monde du football professionnel : se croire chez nous. Cependant, il faut avouer que le contexte s’y prêtait : je travaillais également pour la structure en tant qu’intervenante en psychologie du sport. Nous avions beaucoup d’amis, nous connaissions bien le maire, les personnalités du club et de la ville. Tant de liens pour des gens comme nous, n’étant généralement pas autorisés à en tisser ! Troyes fut le temps fort de ma vie personnelle et professionnelle, mais la déception du départ n’en fut que plus rude.
Sept ans d’affilée dans le même club, une rareté de nos jours, nous ont fait oublier les règles du jeu de ce métier, où tout est précaire. Ce genre d’erreur entraîne nécessairement un départ très douloureux. Je m’en suis longtemps voulu de nous avoir vus ainsi installés. Mais cet épisode nous a vaccinés. Le sujet reste sensible pour Jean-Marc car je sais à quel point certaines choses l’ont blessé. Personnellement, ce départ m’a changée. J’ai littéralement fermé les écoutilles, j’ai pris de la distance avec certains acteurs du monde du foot, notamment celles et ceux qui sont immuables, qui restent là indéfiniment pendant que vous recommencez l’aventure inlassablement. Dans les tribunes, je suis moins avenante. Je me suis repliée pour me protéger. Le foot m’a rendue plus solitaire. Je le sais, je le sens et je ne le vis pas mal.
« Francis-Le Blé est l’atmosphère la plus merveilleuse que j’ai connue » Le deuxième exil bouleversant fut celui de Brest, en 2019, pour des raisons totalement différentes et personnelles, car j’ai eu un véritable coup de cœur pour cette ville. Rien n’était écrit à l’avance, croyez-moi. Quand nous avons annoncé à notre entourage que nous allions là-bas, ce fut cocasse. Nos proches nous disaient : « Ah oui, la Bretagne, c’est super. Mais Brest ! Oh là là… C’est loin de tout, c’est moche, mal construit, gris, triste. » Bonjour l’ambiance… Pourtant, dès que nous avons atterri là-bas, je me suis sentie bien, comme « allégée » d’un poids insoupçonné.
Nous avions une vie sociale bien moins importante, quasi inexistante par rapport à Troyes, que nous venions de quitter. Cela ne m’a pas empêchée d’adorer cette ville, son immense librairie « Dialogues » à l’ambiance apaisante, cosy où je pouvais m’asseoir et lire des heures ; ses quais emplis de restaurants, de bars, d’agitation, de vie ; ses rues qui mènent à l’océan, ce magnifique océan qui me fascine, par son mouvement constant, son odeur iodée qui donne envie de déguster les huîtres ramenées de la pêche matinale, par ses émotions, tantôt apaisé, tantôt agité. À Brest, j’ai aimé regarder cet océan, l’écouter, ressentir ses émotions. Et peu importe la présence des grues ou des gros bateaux aux alentours. Eux aussi, j’ai fini par les aimer.
Cécile Traverse : « J’ai adoré Brest, son immense librairie « Dialogues » à l’ambiance apaisante, cosy où je pouvais m’asseoir et lire des heures. » Cécile Traverse : « J’ai adoré Brest, son immense librairie « Dialogues » à l’ambiance apaisante, cosy où je pouvais m’asseoir et lire des heures. » | OUEST-FRANCE/FRANCK SEUROT J’ai aussi adoré la mentalité des Brestois, bien moins speeds et plus détendus qu’ailleurs. Nous avons ressenti cette philosophie de vie au stade Francis-Le Blé, où règne l’atmosphère la plus merveilleuse que j’ai connue. Là-bas, au moment d’acheter un billet, les gens s’offrent une soirée conviviale, dont le match fait partie, mais qui commence avant et se poursuit après. Ils « n’achètent » pas un résultat, comme nous avons pu le voir ailleurs. Quel bonheur ! Mais quelle surprise également ! Il nous a fallu un temps d’adaptation…
Je me souviens d’un soir de défaite à domicile avec Jean-Marc. Nous rejoignions notre voiture quand une bande de jeunes l’a alpagué. Sur le coup, j’ai craint le pire. Dans ce genre de contexte, j’avoue être sur la défensive. Mais ces jeunes étaient si souriants, alors j’ai observé de loin. Ils lui ont dit : « Félicitations coach, super le match ! » Jean-Marc s’est figé. Il ne comprenait pas. Il a bredouillé : « Mais, euh, les gars, on a perdu… » Et ils lui ont répondu : « Mais ce n’est pas grave coach. Nous avons fait un beau match. Nous nous sommes régalés. Là, nous allons aller boire un coup et passer une superbe soirée. Merci encore ! » Et ils sont partis. Vous nous auriez vus… Totalement hébétés. Ce fut un moment fantastique. Vous n’imaginez pas à quel point ces quelques secondes peuvent faire du bien. Jean-Marc reparle souvent de cette anecdote avec émotion. Il était littéralement scié. Quant à moi, la déclaration spontanée de ces jeunes m’a permis de clarifier ce que je ressentais mais que je n’arrivais pas à « mettre en mot » : pour un Brestois, aller au stade revêt un sens différent et ça change tout.
Ces saisons-là, je n’allais pas aux matches avec la même boule à l’estomac comme si enfin, le football était « installé » à sa juste place. Conscients de cet équilibre, nous ne nous promenions plus dans le centre-ville avec méfiance, en nous demandant s’il aurait mieux valu rester chez nous. Nous avons un lien unique avec cette ville. J’y reviens chaque année avec un immense plaisir pour donner quelques heures de cours et revoir mes collègues que j’apprécie énormément. À chaque fois que je retrouve ses rues et entends l’océan, je suis émue et j’ai les larmes aux yeux. Oui, quitter Brest fut un déchirement.
« Dans les choix de Jean-Marc, une seule chose est au-dessus du projet football : ses principes moraux » Les moments entre la fin de contrat dans un club et la signature éventuelle dans un autre sont des à-peu-près permanents. Certaines prises de contact sont précoces, traînent et ne mènent finalement nulle part. L’incertitude est alors à son point culminant. Dans le cas des joueurs, vous « doublez », voire « triplez » les postes dans chaque effectif. La situation est toute autre lorsqu’il s’agit des entraîneurs. La question est simple si je puis dire : à l’instant T, des places sont-elles disponibles au moment où Jean-Marc, lui, est libre ? Puis, dans un deuxième temps : son profil intéresse-t-il les acteurs concernés ? Quand les choses bougent, il est informé par son agent, puis il me tient au courant. Le projet football est et restera l’unique décideur de nos mouvements. Rien n’est au-dessus.
Enfin, si : les principes moraux de Jean-Marc. Sa parole vaut toutes les signatures du monde. C’est une question de valeurs. À l’issue de son premier contrat à l’Estac en 2007, il s’était engagé oralement, lors d’une conversation téléphonique, auprès du président de Strasbourg. Vingt-quatre heures après, avant la signature officielle du contrat, le président bordelais Jean-Louis Triaud le contactait pour lui proposer de prendre la tête de son équipe. Vous imaginez ? Les Girondins de la fin des années 2000, pour nous, les enfants nés en Gironde. Cependant, dans l’esprit de Jean-Marc, il en était absolument hors de question. Il a refusé. Surpris, M. Triaud insistait, lui disant qu’il suffisait de dire à Strasbourg qu’il s’agissait d’une offre qu’il ne pouvait pas refuser, qu’il rentrait chez lui. Mais il est resté inflexible, honnête, intègre.
Cécile Traverse : « En 2007, Jean-Louis Triaud a proposé le poste d’entraîneur des Girondins de Bordeaux à Jean-Marc Furlan. Il a refusé car il était déjà engagé oralement avec Strasbourg. » Cécile Traverse : « En 2007, Jean-Louis Triaud a proposé le poste d’entraîneur des Girondins de Bordeaux à Jean-Marc Furlan. Il a refusé car il était déjà engagé oralement avec Strasbourg. » | ARCHIVE OUEST-FRANCE/PHILIPPE RENAULT Jean-Marc a régulièrement des propositions pour l’étranger. Rien à voir avec l’Angleterre ou l’Espagne. Les destinations en question sont plus « exotiques ». Dans ce cas, je donne davantage mon avis car il s’agirait d’un sacré changement personnel et professionnel. Je n’y suis pas fermée. Seulement, ce genre d’expérience ferait figure, à mes yeux, de conclusion, de dernière étape avant la retraite. Le jour où il acceptera, je veux que ce soit en étant parfaitement en paix avec sa carrière d’entraîneur en France.
Outre ce cas de l’étranger, je n’impose rien à Jean-Marc. Je ne lui dis jamais : « Oh, mon cœur, allons plutôt ici, c’est plus sympa. » Jamais. Je veux que nous allions dans une ville où le club lui propose un projet qui lui plaît, où il se lèvera le matin avec entrain, où il pourra se régaler à mettre en place sa philosophie de jeu, où il se sentira en phase avec ses dirigeants. Alors bien entendu, au moment de changer de ville, Jean-Marc me demande toujours ce que j’en pense mais je réponds avec le filtre de ce qui sera bien pour lui d’un point de vue sportif. Si lui est bien, j’ai la conviction que je pourrai m’adapter partout.
« À chaque déménagement, je veux pouvoir recréer notre cocon » Je suis prête à habiter n’importe où à partir du moment où je me sens chez moi. Et là, il faut avouer que je suis TRÈS exigeante. Dans le monde du foot, de nombreux joueurs ou membres du staff louent des logements meublés et déménagent avec quelques dizaines de cartons, tout au plus. Pour nous, c’est impossible. Je veux vivre dans une maison qui nous ressemble, qui nous offre un sentiment de stabilité. Vivre dans un meublé ou ne faire suivre qu’une infime partie de nos affaires me renverrait au quotidien l’idée que nous sommes inlassablement « sur le départ ». Je le sais déjà, pas besoin que notre maison l’incarne ! Et puis, je ne veux pas me priver d’acheter un meuble qui me plaît et de l’emmener, avec nous, faire le tour de la France.
Jean-Marc et moi sommes des nomades, certes, mais des nomades avec 500 cartons – je n’exagère pas – et trois camions de déménagement à chaque nouveau départ. D’ailleurs, les déménageurs sont souvent accablés lorsqu’ils font un premier tour et constatent tout ce qu’ils ont à transporter, en particulier les cartons de livres… Quand nous sommes partis de Brest, l’un d’entre eux a carrément fini par nous dire : « C’est trop gros pour nous, on ne fait pas. » Quant à celui qui s’est occupé de notre arrivée sur Brest, il se plaisait à raconter que ce déménagement était plus impressionnant que celui qu’il avait effectué pour le siège du club ! L’intendance consécutive de ce choix est une folie, mais je suis convaincue de son importance, de sa nécessité pour notre équilibre. Nos maisons sont des refuges face à l’impermanence du football. La règle est par conséquent simple : à chaque déménagement, je veux pouvoir recréer notre cocon.
Cécile Traverse : « Jean-Marc et moi sommes des nomades, certes, mais des nomades avec 500 cartons. À chaque déménagement, je veux pouvoir recréer notre cocon. » Cécile Traverse : « Jean-Marc et moi sommes des nomades, certes, mais des nomades avec 500 cartons. À chaque déménagement, je veux pouvoir recréer notre cocon. » | DR Il existe deux éléments absolument immuables à notre bien-être. D’abord, le salon, notre lieu de vie, quartier général où nous sommes installés matin, midi et soir. Il se doit d’être un lieu d’apaisement total. Jean-Marc aime les baies vitrées, il veut que la lumière emplisse la pièce. J’y installe notre table à manger, carrée, boisée, exotique ; notre grande armoire chinoise rouge sur laquelle est installée une lampe marocaine, recouverte d’une peau rouge qui diffuse une lumière tamisée le soir. J’y ajoute nos tapis colorés, de nombreuses plantes. J’y place notre grand Bouddha doré, des commodes chinoises, la table basse, où reposent livres et bougies. Et puis, notre canapé avec ses coussins ocre et rouges, où nous lisons ou regardons la télévision. Tous ces éléments étaient présents à Troyes, Strasbourg, Nantes, Brest. Ils le sont à Auxerre. Ils seront toujours là.
Comment vous parler de notre intérieur sans aborder les livres ? J’ai besoin qu’ils soient tous présents dans la maison. Nous en avons aujourd’hui plus de 2 000. Ils représentent près de la moitié de nos déménagements, soit 200 cartons. Il vaut d’ailleurs mieux que personne ne me voie les empaqueter car je pourrais me retrouver à l’hôpital psychiatrique. Je m’applique comme une dingue afin qu’aucun ne soit plié, corné, froissé. À la maison, nous vivons à leurs côtés. Ils peuvent se trouver sur les tables, le comptoir de la cuisine, les accoudoirs du canapé… La majorité reste rangée dans nos bureaux respectifs et dans des lieux dédiés. À Auxerre, à l’étage, sous les toits, j’ai fait aménager des étagères sur mesure pour installer les collections, tout en longueur. C’est un endroit que nous adorons. À nos yeux, une bibliothèque représente la certitude d’être heureux.
« À Auxerre, pour la première fois de notre vie, nous avons acheté une maison » Une fois les cartons bouclés, commence alors une sacrée intendance, car il faut rebondir le plus rapidement possible. Je m’occupe de tout, uniquement assistée par ma maman. J’ai entendu parler des services de conciergerie, mais je n’ai jamais fait appel à eux, mon niveau d’exigence est tel que j’aurais peur d’être déçue. De plus, m’occuper de ce moment de transition me permet de vivre les choses par étapes, il adoucit le départ d’un lieu et m’assure que nous serons bien dans celui que nous rejoignons.
Dès que nous connaissons notre nouvelle destination, je consulte assidûment les sites références et contacte des agences immobilières sur place. Parfois, le club dispose d’une « personne-ressource » pour nous aider. Je suis très exigeante dans la quête de la maison que nous louerons, car elle représente davantage qu’une maison. En ce qui concerne l’intérieur, vous l’aurez compris, il nous faut une grande pièce de vie lumineuse. Je m’informe sur la présence de rangements et en particulier de bibliothèques afin de faciliter l’installation de nos livres. Nous désirons également un nombre de chambres suffisant pour accueillir les enfants de Jean-Marc lors de leurs visites. Question « extérieur », nous souhaitons une maison isolée de la ville, en pleine nature. Nous nous retrouvons parfois dans de tout petits villages, ce qui amuse beaucoup les femmes de joueurs ou de membres des staffs locaux, très citadin(e)s, mais nous avons besoin de vivre loin de toute forme de nuisance. Nous aimons voir les saisons défiler sous nos yeux et lire dans le jardin, au calme.
Bien sûr, il est nécessaire que nous habitions assez proche du centre d’entraînement et du stade, ce qui rend parfois la recherche d’une maison en pleine nature compliquée. Lorsque la quête s’avère ardue, que les semaines passent, l’inquiétude me gagne. Jean-Marc le sait. Voulant me faire plaisir, il m’encourage alors à choisir la maison que je veux, indépendamment de la distance avec le stade. Selon le coup de cœur, sa proposition est tentante mais je suis consciente que cette décision finira par nous polluer : il devra se lever plus tôt, passera plus de temps dans la voiture, sera forcé de compenser en restant plus longtemps au stade, ce qui signifie qu’il restera moins longtemps avec moi. Bref, cette distance excessive finira nécessairement par devenir un calvaire.
Dès que je repère une ou deux maisons qui me plaisent, j’en parle à Jean-Marc, qui a bien d’autres choses à gérer à son arrivée dans un nouveau club. Suivant le contexte, il assiste aux visites ou me fait confiance. Dans l’idéal, j’essaie d’organiser le moment du déménagement lorsque Jean-Marc est en stage avec son équipe, fin juin-début juillet. Ainsi, nous ressentons moins la séparation. Si tout se passe bien, cette transition est l’affaire de quelques semaines. Parfois, c’est plus long, comme à Auxerre, où nous avons peiné à trouver un logement. De juin à novembre 2019, nous vivions dans un appartement meublé, très joli et agréable, certes, mais sans notre salon cosy et nos livres. Ce n’était pas chez nous. J’étais irritable, je l’ai mal vécu et me suis sentie déracinée. Devant l’absence de solution, pour la première fois de notre vie, nous avons acheté une maison. À la vue de l’annonce, ce lieu semblait déjà nous dire : « Vous êtes ici chez vous », avec ses oliviers dans le jardin, un bouddha sur la terrasse, la nature à perte de vue. Alors, nous avons sauté le pas. Nous ne savons pas combien de temps nous resterons à Auxerre. C’est la règle du jeu et cela fait bien longtemps que nous l’avons acceptée. Nous verrons ce que l’avenir nous réserve puis nous aviserons. Rien ne nous effraie à ce sujet.
« Tout se passe comme s’il devait, sans cesse, semer de nouvelles graines en se demandant s’il aura la chance de voir son arbre fleurir » Le plus dur aujourd’hui n’est plus de partir, mais plutôt de devoir tout recommencer ailleurs. Dans l’exercice de son métier, Jean-Marc est un bâtisseur. Pour chaque nouveau club, il se donne corps et âme afin de construire un « pôle performance » en adéquation avec sa philosophie. Il lui faut plusieurs saisons pour y parvenir. Quand un contrat se termine, même lorsqu’il est en paix avec cet arrêt, il ressent une forme d’abandon de son travail, de son engagement, d’une part de lui. Il ne le formule pas mais je le sais. Tout se passe comme s’il devait, sans cesse, semer de nouvelles graines en se demandant s’il aura la chance de voir son arbre fleurir. C’est difficile pour moi également, pour des choses bien plus triviales, comme la perpétuelle recherche du bon épicier, coiffeur, médecin à chaque nouvelle ville. Repartir de zéro, encore, toujours, vous marque quelque peu au bout de 20 ans, mais je n’ai jamais ressenti le besoin de tout envoyer valser et de m’établir quelque part. Je crois que j’y laisserais une part de mon identité.
Cécile Traverse : « Le plus dur aujourd’hui n’est plus de partir, mais plutôt de devoir tout recommencer ailleurs. » Cécile Traverse : « Le plus dur aujourd’hui n’est plus de partir, mais plutôt de devoir tout recommencer ailleurs. » | OUEST-FRANCE/THOMAS BREGARDIS Lui non plus. Bien au contraire. Au cours de leur carrière, certains entraîneurs ressentent le besoin de couper et prennent une année sabbatique pour souffler, récupérer de cette pression permanente qui pèse sur leurs épaules. Jean-Marc n’a pas souhaité utiliser cette stratégie. En vingt ans, il n’a connu que deux courtes périodes d’inactivités de quelques mois : entre Strasbourg et Nantes en 2009, puis entre Troyes et Brest en 2015. C’est parfaitement volontaire : Jean-Marc n’aime pas rester hors du monde du football trop longtemps. Il est soucieux de suivre le fil des évolutions générationnelles, de rester au contact de ces jeunes hommes qui en sont l’essence. Il a vraiment une peur bleue de se sentir, un matin, en décalage complet avec les joueurs et d’être obligé de se retirer. Prendre soin de lui, de son dos, de son corps, pendant une saison off, lui aurait certainement fait du bien. Il le sait. Mais cet arrêt aurait aussi fini par l’angoisser. Je le comprends. Je pense même qu’il est dans le vrai. Donc je le suis. Nous avons cette passion, cette âme de nomades en nous.
Forcément, cette vie en mouvement a des conséquences, sociales notamment. D’autant que, je vous en ai déjà parlé, je suis devenue davantage solitaire avec le temps. Alors, je ne suis pas l’amie qui appelle tous les quatre matins ou organise des sorties shoppings entre copines le samedi après-midi suivies de bonnes bouffes. Je vois et parle peu à mes amis mais ils sont toujours près de moi : des photos de nos moments de partage sont présentes dans toute la maison. Je suis consciente que certains ressentent une réelle frustration à ce sujet, mais c’est ainsi. Je chéris tous les précieux moments que j’ai le plaisir de vivre auprès d’eux, c’est un grand bonheur mais il est à double tranchant : quand ces instants ont lieu, ils me mettent aussi face à la réalité de leur caractère éphémère, au manque que cela va générer puisque je vais devoir obligatoirement m’éloigner. Malgré tout, il n’existe aucune ambiguïté entre nous : mes proches savent que s’ils ont besoin de moi, je serai là. Quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit, je serai capable de partir de chez moi illico et d’enchaîner des centaines de kilomètres pour les retrouver, les épauler. Mes amis sont la famille que j’ai choisie et je les aime de tout mon cœur.
Cécile Traverse : « Forcément, cette vie en mouvement a des conséquences, sociales notamment. » Cécile Traverse : « Forcément, cette vie en mouvement a des conséquences, sociales notamment. » | DR Partager la vie d’un entraîneur nécessite d’assimiler que vous ne resterez jamais bien longtemps quelque part. C’est une vie par moments empreinte de nostalgie que je combats avec la logique suivante : nous perdons toujours certaines choses lors d’un départ, mais nous en gagnons beaucoup, aussi, à chaque arrivée. Nous avions une baignoire d’enfer dans la maison à Brest ? Nous avons un salon merveilleusement convivial et apaisant dans celle d’Auxerre. Nous avions l’océan à Brest ? Je me retrouve à une heure de route de certains de mes meilleurs amis depuis Auxerre. Je suis persuadée qu’il existe des choses chouettes partout. Bouger aide à ne pas trop s’enraciner, à ne pas se mettre dans une zone de confort, et évite de ronronner. Bouger permet de découvrir des gens d’horizons différents. Cette vie de nomades nous a offert une ouverture « au monde ». Je mesure cette chance dont nous nous sommes enrichis.
Partager la vie d’un entraîneur, c’est apprendre à vivre dans le présent. Il est si dense qu’il ne vous laisse ni la place de ressasser le passé, marquant, ni d’envisager l’avenir, incertain. Je vous parlerai de cet immense spectre émotionnel que nous ressentons dans cette vie, lors de ma prochaine chronique. À vendredi. Prenez soin de vous. » |
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