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L'invention d'une doxa néo-fasciste : le rôle de l'avant-garde nationaliste-révolutionnaire : Idéologie négationniste, propagandes anti-américaine, anti-immigration, anti-juive
Par Nicolas Lebourg
Domitia*, no 1, octobre 2001.
Etudie la situation : où est l'ennemi ?
Il est donc désormais clairement entendu, tant au FN que chez les NR et autres nationalistes, que le fascisme est juif et que le véritable génocide global contemporain est celui qu'il exerce à l'encontre de la mythique souche indo-européenne. Les extrémistes de droite sont dès lors les véritables démocrates, résistants, défenseurs de la liberté -ce n'est pas un hasard si le B'nai B'rith judéo-maçonnico-américano-international personnifie à la fois le « lobby juif » et le « lobby antiraciste » persécuteur.
Il faut toutefois préciser que cette évolution doctrinale n'a strictement aucun rapport avec la dénomination « Front National ». L'ouvrage de Guy Konopnicki a en effet popularisé l'idée que le FN, dont nombre de fondateurs étaient d'anciens collaborateurs, n'avait choisi ce nom que pour pouvoir détourner l'une des appellations de la Résistance.87 Cette affaire a été portée devant les tribunaux, via l'hebdomadaire Charlie-Hebdo, et a reçu un large écho médiatique. L'idée peut être séduisante, la présence de Bidault lors des préparatifs de création du FN tendrait à la rendre crédible, mais il faut la réfuter absolument. Cette polémique était surgie une première fois, à la naissance du parti. Un ancien résistant avait protesté face à cette « usurpation », M. Le Pen lui avait répondu en citant les organisations homonymes de Déroulède et le FN de 1934 88. C'est là une réalité d'autant plus importante que ce FN de 1934 avait été fondé dans le but d'opposer un front nationaliste au front populaire : c'est bien de la même question qu'il s'agissait en 1972, face à l'union de la gauche. Les principaux groupes composant le rassemblement de 1934 étaient : l'AF (contacté en 1972 également89), les Jeunesses Patriotes (en 1972, M. Holeindre vient au FN avec ses Jeunesses Patriotes et Sociales, qui ressemblent en bien des points à ces JP, qui s'étaient transformées en Jeunesses Nationales et Sociales), le parti franciste (dont Bousquet, ex-Waffen SS et premier trésorier du FN, était membre) et Solidarité française (l'organe du mouvement Poujade se nomma Fraternité française, nom repris par l'association caritative frontiste créée par Stirbois).
Toute l'histoire des extrêmes droites, en France mais aussi dans le monde, fourmille de « fronts nationaux ». Or, c'est François Duprat, historien passionné par la politique internationale, qui use en premier de ce sigle, et il est le théoricien du mouvement NR comme mouvement anticolonialiste : ces mouvements-ci aussi choisirent de se nommer Front National à partir de 1941. De plus, Duprat évoque dans un de ses livres la préparation d'un coup d'Etat en 1968 au cas où de Gaulle laisserait les « rouges » prendre les rênes de l'Etat, afin d'assurer la prise du pouvoir par un gouvernement de Front National.90 Ce coup d'Etat devait fonctionner selon le plan-modèle défini en 1965 par le Service Information Défense, service secret italien largement impliqué dans la stratégie de la tension. C'est également lui qui est utilisé lors de la tentative de coup d'Etat en Italie par Borghèse, à la tête du Frente Nazionale, dans la nuit du sept au huit décembre 1970. Duprat se prit autant de passion pour le modèle chilien que pour l'italien. En 1976, dans Année Zéro, il prôna justement le coup d'Etat par la reprise de la tactique chilienne, les GNR devant jouer en France le rôle de Patria y Libertad - d'ailleurs le nom du journal de ce mouvement se nommait Orden Nuevo et le groupe dominait un Frente Nationalista ; informations provenant d'un Duprat, tête pensante d'un ON dominant au départ le FN, qui ne les donne pas par hasard91. Pour finir, il faut noter que, dès le combat pour l'Algérie française, M. Le Pen définissait le combat politique comme devant être front contre front et choisit pour cette raison de baptiser son mouvement d'alors le Front National des Combattants92, puis prit la tête d'un Front National pour l'Algérie française.
Ce sont là des informations qui ne fournissent en rien des corrélations absolues mais qui, toutes ensembles, et les reprises historiques en premier lieu, permettent de rejeter complètement la thèse d'une simple démarcation d'un parti empli de vieux collaborateurs du PPF voulant reprendre l'image du FN résistant. Il s'agit là d'une perspective journalistique, d'un fort bon sujet de propagande antifasciste, mais non d'un point de vue historique.
En outre, la recherche en sciences humaines et sociales ne s'est focalisée que sur l'aspect technique du négationnisme, répondant en fait à sa propre problématique, aussi brillantes que fussent certains études. Elle l'a par trop considéré comme un élément alors qu'il constitue en-soi une idéologie nationaliste, un oscillateur idéologique (comme en ont témoigné certains lambertistes, libertaires, écologistes) largement appuyé sur d'autres oscillateurs, l'anti-américanisme et le soutien à la cause palestinienne. Il importe donc d'affirmer que le but du négationnisme n'est pas en premier lieu de persuader la population de la non-existence de la Shoah mais qu'il vise plusieurs objectifs. Il recherche une banalisation des régimes fascistes, de leur nature et de leurs crimes. Il souhaite les rendre comparables aux natures et crimes des régimes libéraux et communistes. Il constitue un syncrétisme entre antisémitisme et antisionisme ; Israël née de l'extermination des Juifs européens doit perdre sa légitimité afin que soit à son tour légitime sa destruction. Ceci est soutenu par un jeu de comparaison avec d'autres génocides, ou l'invention de certains, tels « le génocide vendéen », ou « le génocide palestinien » par « les nazis de Tsahal », logomachie évidemment efficace.
Le négationnisme désire donc non pas que les masses se passionnent pour les aspects techniques de la Shoah, mais qu'elles en viennent à se demander : « à qui profite le mensonge et son orchestration ? ». La réponse mène irrémédiablement au thème du complot juif mondial, ayant imposé le mythe de la Shoah aux Etats, aux politiques et aux media. Cette réponse est menée avec l'affirmation que le véritable génocide global contemporain serait celui de la race blanche, via l'immigration, provocatrice de métissage, la non-discrimination à l'encontre des homosexuels, la légalisation de l'avortement (la comparaison de la Shoah avec celui-ci n'étant donc pas du tout une simple manière de la banaliser - les deux derniers éléments étant plus le fait des néo-nazis et des nationaux-populistes que des NR, avant tout anti-américano-sionistes). Tous ces phénomènes seraient causés par le « complot juif mondial » afin d'asseoir sa domination planétaire (mondialiste). Le négationnisme revient donc à légitimer et la destruction d'Israël et une nouvelle solution finale du problème juif - cette définition correspond à ce que l'on pourrait qualifier d'analyse gestaltiste du négationnisme, des modulations sont donc à faire selon les individus, qu'ils soient émetteurs ou récepteurs.
Le négationnisme constitue un véritable mythe au sens sorelien, basé sur la théorie du complot, et cela explique sans doute son succès en une période socialement très difficile.93 Il se situe enfin dans une tradition de la réponse nationaliste. En effet, Maurras et Barrès renvoyaient au rêve d'une France champêtre, antithèse de la révolution industrielle dont ils étaient les contemporains. La France juive attribuait ce qui était le fait de cette instauration de la révolution industrielle et du libéralisme au complot juif : un changement de civilisation amenait l'image d'un âge d'or, et cherchait à rationaliser les bouleversements par une cause extérieure unique et négative. Les Protocoles des sages de Sion, rédigés pour contrer l'évolution libérale de la Russie tsariste, poursuivent aujourd'hui leur carrière. L'apparition de la technocratie, la crise des années trente, la défaite de 1940, la persistance d'un système capitaliste malgré la Révolution Nationale, ont amené le mythe de la Synarchie. Aussi, l'éclosion de l'ère post-industrielle, de la révolution conservatrice néolibérale, du pouvoir toujours grandissant de la technocratie et des media, phénomènes connexes, a donné le jour aux mythes de la Trilatérale, du B'nai B'rith, a été à l'origine d'une nouvelle diffusion des Protocoles ; en quelque sorte le mythe du complot est (au sens jungien) l'ombre de la réalisation d'une utopie qui s'impose aux réalités sociales.
L'axiome posé par Dominique Venner et souvent repris par François Duprat, pas de parti révolutionnaire sans idéologie révolutionnaire, a enfin obtenu sa solution, une véritable idéologie étant constituée tant au niveau de l'utopie qu'à celui de la désignation de l'ennemi94. Ce dernier point a parfaitement fait l'économie de la présence de l'URSS : mieux , la fin du bloc soviétique a permis aux NR et aux néo-droitiers de pouvoir fournir un « ennemi de rechange » aux autres extrémistes de droite, de donner une connotation socialisante au parti lepénien, et d'ainsi faire avancer ses propres conceptions utopiques au sein de ce champ. Il ne saurait être question de sous-estimer l'importance d'une définition de l'ennemi lorsqu'il s'agit d'extrémisme politique, l'adversaire se voyant chargé de donner une forme aux velléités de révolution et de rationalisation. L'ennemi désigné par les NR a obtenu l'assentiment, pour sa totalité ou pour partie de ses schèmes, des extrémistes de droite, depuis les nationaux-catholiques jusqu'aux nationalistes-européens95.
Le comportement militant NR est bien celui d'une avant-garde (terme revendiqué par Duprat et M. Bouchet). Ses rangs n'ont jamais atteint les trois cents adhérents, mais elle a su apporter des éléments langagiers et des idées à un parti national-populiste en croissance96. La formation du Front National était d'abord pour Duprat un moyen de fédérer le vote des mécontents ne désirant pas voter pour l'Union de la Gauche, afin, grâce au talent oratoire de M. Le Pen qu'il espérait manoeuvrer, de les mener à un parti néo-fasciste97, tandis que l'utilisation de l'étiquette NR était un moyen de fédérer les nationalistes. Car si le point commun le plus évident entre toutes les extrêmes droites est l'antimarxisme (ce qui permit la création du FN), le point commun entre tous les nationalistes est la croyance en un complot juif. Par ce biais, condition sine qua non, peuvent être unis tous les nationalistes sous une étiquette homogénéisante, et une forme de combat peut leur être imposée. UR s'est positionné face au FN mégretisé exactement comme l'étaient les GNR (ce que reconnaît parfaitement M. Bouchet98), afin de servir d'aiguillon idéologique au parti, d'en constituer l'avant-garde, d'assurer une propagande plus radicale servant en fin de compte au FN. Alors que le discours de masse de celui-ci a trouvé sa mise en forme consensuelle grâce à la Nouvelle droite et aux dérapages de l'ensemble du champ politique, essentiellement de la droite dite républicaine, les NR lui ont apporté un discours de rupture, largement emprunté à l'autre extrémité de l'espace politique.
La partition du FN n'est pas pour eux une bonne nouvelle, UR considérant, avant les européennes, qu'en cas d'échec de Bruno Mégret les NR feraient un recul de vingt ans. Il est, en effet, possible de considérer que la relation FN-GNR de 1978 est actuellement celle d'UR et du MNR. Le choix de cette appellation de Mouvement National Républicain témoigne parfaitement de la situation de M. Mégret. Celui-ci avait mené la campagne des élections régionales avec le slogan National et Républicain, les initiales étant marquées sur ses affiches pour bien désigner le sigle NR - complètement inconnu de son électorat. En la situation très difficile où il se trouve actuellement, ce sigle lui permet à la fois de donner des gages aux militants NR dont il serait incapable de se passer, par ce clin d'oeil à leur propre MNR, et, conformément à sa stratégie, de se positionner en « républicain » vis-à-vis des masses électorales.
La présente rémission de l'extrême droite n'empêche pas que la population française a subi une imprégnation national-populiste. L'ensemble de la presse française adopta la thèse de la profanation du cimetière de Carpentras en tant que complot gouvernemental anti-frontiste : c'est là le signe d'une vulnérabilité évidente. De plus, à la question Y a-t-il trop de Juifs en France ? la réponse affirmative des sondés a évolué de 24% en 1990 à 35% en l999, ce chiffre passant à 63% pour les Arabes en 1999. Lorsque M. Le Pen évoqua l'inégalité des races, il provoqua une hausse de douze points des réponses positives à la question portant sur le droit d'exprimer une telle idée dans les journaux, de neuf points pour celle acceptant le droit d'exprimer cette idée dans les campagnes électorales (sondages annuels de la Commission nationale consultative des Droits de l'homme). Si l'offre politique raciste est en plein désarroi, la demande, elle, existe, et un espace persiste pour un mouvement extrémiste de droite, le seul qui puisse prétendre avoir « la légitimité politique » à résoudre « la question raciste ».
Note :
86. Recommandation de Carl Schmitt pour procéder à l'analyse politique, cf. Stefan Breuer, Anatomie de la Révolution conservatrice, Maison des Sciences de l'homme, 1996.
87. Guy Konopnicki, Les Filières noires, Denoël, 1996.
88. Le Monde, 29-30 octobre 1973.
89. Les royalistes seront la seule famille à refuser de participer au compromis nationaliste. Ce refus, pour cause doctrinale, n'a cependant jamais empêché qu'il existe des passerelles.
90. François Duprat, Les Journées de Mai 68, Les Dessous d'une Révolution, préface de Maurice Bardèche, Nouvelles Editions Latines, 1968, p. 172.
91. François Duprat, Le Néo-fascisme dans le monde arabe et en Amérique, ibid..
92. MM. Bresson et Lionet, op cit., p. 187.
93. Selon Raoul Girardet c'est toujours en ce type de période que fonctionne un tel mythe, cf. Raoul Girardet, Mythes et mythologies politiques, Le Seuil, 1986.
94. Les NR se revendiquent autant du Che Guevara, du sous-commandant Marcos, que du Ba'th, de Codreanu, Evola, Mussolini, Nasser, Niekisch, Perón, Thiriart, Sorel, Strasser ou de la RSI. Nous avons préféré ne pas aborder ici la question de l'utopie NR qui, si elle n'est que très peu traitée, a déjà bénéficié néanmoins de quelques analyses (fort intéressantes) - précisons seulement que sa complexité a pour conséquence que bien peu de personnes deviennent NR par leurs lectures: dans la militance générale la désignation de l'ennemi est prépondérante. L'aspect provocateur et sophistiqué des NR (« je suis fasciste, comme Che Guevara ») leur apporte sans doute un certain parfum de séduction et de rupture avec l'image du skinhead ou du « beauf » écervelé , icônes souvent véhiculées concernant le militant d'extrême droite (ainsi d'un ex-militant nationaliste s'auto-définissant comme nazi, anticapitaliste, d'extrême gauche ; entretien avec l'auteur).
95. Romain Marie déclare que l'IVG est un génocide et que est-ce tabou de le dire ? Tout est organisé pour qu'il y ait de moins en moins de petits Européens et de plus en plus de Maghrébins. Cela va dans le sens de l'Europe cosmopolite et affairiste prônée par Guy Sorman (Présent, 26 novembre 1984). Dans Militant est affirmé : On pourrait croire qu'une main invisible dirige une opération monstrueuse d'épuration ethnique d'un continent entier, détruisant d'un côté toute procréation de petits aryens plus ou moins christianisés pour les remplacer doucement mais fermement par des allogènes (...). Tous les gouvernements européens poussés au derrière par les USA déjà dépravés, colorisés à la manière de leurs films et multiracialisés, ont-ils été contaminés, convaincus ou sont-ils simplement bouchés ? (Militant, novembre 1999)
96. Puisque tous les ouvrages relatifs aux extrêmes droites stipulent que c'est M. Taguieff qui, en 1984, mena le concept de national-populisme en France, précisons que la première citation provient en fait de Duprat, Le Néo-fascisme en Occident III Amérique latine, Supplément à La Revue d'Histoire du fascisme, novembre 1975 ?, p. 25.
97. François Duprat in CEH, n°25 non daté, première ou deuxième semaine de juin 1974 ; Jean Castrillo, membre du PPF, de la Waffen SS, d'Europe-Action, membre fondateur de Militant et du FN, membre du comité central et du bureau politique du FN, actuellement rédacteur en chef de Militant et animateur de l'Association des Amis de François Duprat, entretien avec l'auteur ; la couverture de François Duprat, Le Néo-fascisme en France en 1973, Cahiers Européens, Supplément à la Revue d'Histoire du fascisme, septembre 1975, porte en illustration la flamme FN, et le texte va en ce sens.
98. Entretien avec l'auteur.
Voilà, j'ai aussi fait un copier-coller, je me suis auto-convaincu sur un texte que je n'ai casi pas compris, mais à partir de maintenant, ce sera ma doctrine. Cependant, je suis entièrement d'accord avec moi-même.
Ce qui est quand même le principal, non?
Et sinon, vous aimez les moules??