“Le sélectionneur français Michel Hidalgo demandait à ses joueurs de jouer comme Vabec !”MUSÉE DU SPORT – L’INCOMPARABLE DRAGO VABEC ET SES ANNÉES AU DINAMO ET À BREST
Auteur : Andrija Kacic-Karlin/ 7 Dnevno/ Le 11 décembre 2015
L'auteur français Johann Le Roux a été témoin des matchs de Vabec à Brest et l’inspiration du joueur croate et ses gestes magnifiques l’ont tellement impressionné qu’il a écrit un livre sur l’idole de son enfance. Et ce n’est pas tout : il a cherché des archives des télévisions françaises et croates, en a trouvés quelques-unes par lui-même et a produit un documentaire qui montre clairement toute la richesse et la grandeur de ce joueur. Un livre et un biopic, Drago Vabec les mérite bien !
Il y a peu de joueurs dans le monde qui sont devenus les sujets d’un livre. Une œuvre littéraire est un indicateur de la réussite d'un joueur et nous pouvons sans doute dire que ce ne sont que les plus grands qui se voient honorés de la sorte. La légende du Dinamo Zagreb et du Stade Brestois, Drago Vabec, est l’un de ces joueurs qui ont laissé une empreinte sur leur époque. Intitulé “L’idole de l’Armoricaine”, le livre raconte la carrière de footballeur de Vabec !
Drago Vabec, de la région croate de Medjimurje, a commencé à jouer au Sloga Cakovec en 1966 et deux ans plus tard, après avoir marqué un but au Dinamo pendant un match amical, il a été ramené à Maksimir. Il a joué pour le Dinamo de 1968 à 1979, avant de partir à Brest, où il est resté quatre ans. Il est revenu au Dinamo en 1983 pour y jouer encore une saison. Avec 529 matchs, il est le cinquième joueur le plus capé de l’histoire du club, pour lequel il a inscrit 194 buts.
Il n’a joué que sept matchs pour l’équipe yougoslave, ce qui était absurde car il méritait plus de sélections. Il n’a marqué qu’un seul but, dans le match de qualification contre la Suède à Zagreb en 1975 : Vabec a profité d’un centre de Dragan Dzajic, qu'il a repris d'une demi-volée puissante trompant le gardien suédois Hellstroem. Ce but était tellement spectaculaire qu’il a été diffusé dans l’introduction de “Sportski Pregled”pendant des décennies.
Après sa carrière de joueur, il est devenu l’entraîneur de clubs de deuxième et troisième division : MTC Sloga Cakovec, VIKO Omladinac, Stubica 1962, Daruvar, Krizevci, Vrbovec, Slunj et Jaska. En 2004, il a permis au Medjimurje Cakovec d'accéder à la première division croate.
En rencontrant Drago Vabec, on a cité les mots de Johann le Roux, auteur du livre et du film qu’il a inspirés :
“L'élément déclencheur de ce projet fut la remontée du Stade Brestois en Ligue 1 en 2010. Le club avait disparu de l'élite depuis 1991 à cause de problèmes financiers. Cela a fait ressurgir beaucoup de souvenirs parmi lesquels le plus prégnant était celui de Drago Vabec, un joueur exceptionnel. Alors j’ai commencé à fouiller les archives pour retrouver des articles puis j’ai eu l’idée d’écrire un livre et de produire un documentaire sur lui.”Ce sont les mots du Français Johann Le Roux sur vous…- Bien sûr, je suis très fier de l’œuvre de Johann Le Roux. Je sais comment j’ai joué et combien je me suis investi dans le football. J’ai occupé presque tous les postes, y compris à l'arrière et je jouais indifféremment des deux pieds... J’étais rapide, je faisais de nombreuses feintes, je savais donner le ballon dans l'espace... Dommage que je n’ai pas joué du temps de Mamic (président actuel du Dinamo), le transfert aurait été profitable (rires)… J’ai été approché par le Bayern de Munich, mais je n’avais pas envie de vivre en Allemagne. À l’époque il n'y avait pas d'agents, les joueurs étaient vendus directement par leurs clubs. J'ai négocié avec Tottenham, mais ils ont demandé que je vienne pour un essai, et j’ai refusé. Quand la discussion avec les Anglais s'est terminée, Brest est venu me voir et j’ai été vendu par l'intermédiaire d'un Serbe qui n’était pas un agent. Brest venait d'accéder à la première division et ils avaient besoin d’un attaquant, un buteur. J’ai dit oui à Brest. Plus tard, j'ai été approché par le PSG également, leur offre était trois fois supérieure à celle de Brest. Mais ils offraient des chèques, et moi, je voulais de l’argent comptant. En plus, je suivais la maxime : “il vaut mieux être quelqu'un dans le village, que personne dans la ville”. Quand j’ai refusé le club parisien, le PSG a pris Ivica Surjak à ma place. Et j’ai bien fait : en 90 matchs de première division, j’ai marqué 46 buts pour Brest. J’étais le joueur décisif. Et pourtant je ne jouais pas avant-centre mais ailier !
Quel compliment d'un Français vous a le plus marqué ?- L’entraîneur de la sélection française, Michel Hidalgo, a dit pendant un rassemblement des Bleus que le jeu des Français devait changer. Il a insisté pour qu’ils tirent davantage au but, pour qu'ils jouent comme Vabec, qu’ils soient une menace permanente pour la défense adverse et il leur a montré des vidéos de mes actions “Soyez comme Vabec ! ” s'est écrié Hidalgo. Et lui, Hidalgo, il était l’entraîneur de grands joueurs : Amoros, Janvion, Trésor, Tigana, Rocheteau, Platini, Six, Giresse, Genghini…
Vous avez éclipsé beaucoup de ces joueurs de l’équipe française dans le championnat national, et même ridiculisé certains joueurs défensifs…- Le livre et le film témoignent de cette époque du football et montrent quelle sorte de joueur j’étais. Je suis venu en France tout seul. Je ne connaissais pas la langue, je n’avais pas de professeur, j’ai appris le français tout seul dans un café et dans le vestiaire de l’équipe. J’ai vite appris le langage du football. Lorsque je me suis détendu, j’ai commencé à avoir du succès. Nous, tous les joueurs qui sommes venus en France en provenance du championnat yougoslave de l’époque, nous avons eu des carrières magnifiques : Bjekovic, Dzajic, Curkovic, Katalinski, Surjak, Ivezic, Halilhodzic, Susic et moi, nous avons marqué cette époque du football français. Je me souviens que j’ai marqué un hat-trick face à Bordeaux, et c’était Dragan Pantelic de Nis, leur gardien.
Étiez-vous amer lorsque vous avez quitté le Dinamo après 11 saisons ?- Je n’aimais pas l’injustice et au Dinamo, il y avait souvent des joueurs qui ne méritaient pas d’être choisis par ce club. Je ne veux pas donner des noms, mais je n’aimais pas qu’un joueur vienne pour remplacer un autre meilleur que lui. Alors ils ont décrété que j'avais mauvais caractère et cela m’a beaucoup desservi. Le Dinamo a été assez incorrect envers nous, les joueurs expérimentés. L’entraîneur Bazic nous a tout simplement éliminés : Blaskovic, Miljkovic et moi. Je suis donc parti au Metros Croatia de Toronto pour une courte période et on a gagné la coupe. J’ai joué contre Pelé, j’ai été approché par le Cosmos de New York, mais j’ai refusé. J’avais une femme et un enfant à la maison. Finalement, j’étais satisfait de la compensation que j’ai reçue à Brest. Et le Dinamo ? Non, je n’étais pas satisfait, j’étais un grand supporter du Dinamo, et nous, les locaux, nous avons toujours eu moins de succès dans ce club. C’était de ma faute, j'ai demandé trop peu, car j’étais un vrai supporter et un vrai “Dinamovac”. J’y ai joué pendant onze ans et j’ai absolument mérité le statut de légende du club. On ne peut pas dire que les joueurs qui y ont passé un an ou deux sont des légendes, même s’ils s’appellent Boban ou Suker. Ils ont fait leurs carrières dans d’autres clubs, et moi, j’ai tout donné au Dinamo. Le Dinamo a pris de l’argent de mon transfert, et je crois que je n’ai pas mérité qu’ils prélèvent 60 000 dollars des 200 000 qui me revenaient, lors de mon départ… J’ai passé onze années au Dinamo et j'ai beaucoup donné au club. J’ai été déçu : nous avions reçu des appartements de la part du club, mais nous avons dû les racheter. Je crois que le Dinamo ne voit pas encore qui sont les vrais “Dinamovac”.
Vous étiez gaucher, mais pas un gaucher naturel, plutôt “formé”. Est-ce vrai ?- Oui ! Comment suis-je devenu gaucher ? Je ne savais rien faire avec ma jambe gauche, mais comme jeune joueur, j'ai été mis sur l’aile gauche et j’ai commencé à m’entraîner comme un fou. J’ai appris à jouer et à feinter avec les deux jambes. On peut progresser beaucoup avec suffisamment de travail. C’est-à-dire que si on travaille assez, on peut apprendre tout, sauf la vitesse.
Vos meilleurs matchs pour le Dinamo étaient contre l'Hajduk, mais beaucoup de gens ne savent pas que vous avez joué pour Hajduk également…- L'Hajduk s’est intéressé à moi. Je suis même allé en tournée avec l'Hajduk en Amerique du Nord. J’ai passé dix jours avec eux. Ivica Surjak et Jurica Jerkovic étaient là avec la sélection nationale, et moi, j’étais invité, même si j’étais en train de récupérer après une blessure. J’ai reçu une récompense comme tous les joueurs de l'Hajduk, le club a été très honnête. Mais, mes meilleurs matchs étaient effectivement contre l'Hajduk. J’ai marqué pendant la célèbre rencontre de mai 1979, quand on a gagné à Plinara par 2:1 grâce à mon but à la dernière minute. On a triomphé contre l'Hajduk 5:1 également à Split, et une fois on a emporté la victoire 3:2 après avoir été menés 0:2.
Par un concours de circonstances mais aussi parce que d'autres joueurs bénéficiaient d'un certain favoritisme, vous n’avez joué que sept matchs pour l’équipe nationale yougoslave. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur ce sujet ?- Quant la demi-finale de l'Euro 1976 s'est joué à Belgrade, on menait 2:1, et on a finalement perdu 2:4. J’étais réserviste. L’entraineur Mladinic m’aimait bien. Mais, l’entraineur Miljanic m’a énervé quand il ne m’a pas invité pour le match décisif contre l’Espagne à Francfort (1974). J’étais dans l’équipe nationale comme remplaçant lors du célèbre match contre la Grèce, que l'on devait gagner par deux buts d'écart pour passer, et on l’a fait grâce à un but de Karasi à la dernière seconde. Je me suis échauffé, je remettais les ballons sur le terrain, car en Grèce il n’y avait personne pour rendre le ballon lorsqu'il sortait du terrain. Les Grecs gagnaient du temps. C’est moi qui ai remis la balle pour le corner décisif. J’étais déçu. Et l'Hajduk était privilégié à l’époque : ils protestaient dès qu’il n’y avait pas au moins six ou sept de ses joueurs dans la sélection nationale. Le Dinamo n’a, par contre, jamais protesté quand je n’étais pas sélectionné, et pourtant je jouais brillamment, j’étais dans la forme de ma vie. Personne ne m’a “poussé”, personne ! Il y a eu des injustices et il y en aura toujours.
Aujourd’hui encore, vous êtes considéré comme le meilleur joueur de l'histoire de Brest, où ont également évolué Vladimir Petrovic, David Ginola ou bien encore Franck Ribery...- Mes années brestoises étaient magnifiques, on disait que j'étais l'égal de Platini à Nancy ou de Dzajic à Bastia, que j'étais le leader de l’équipe, un joueur prodigieux. Il y avait des injustices à Brest aussi, et quelques fois je me suis rebellé, j’ai demandé justice. Des fois ils disaient que j’avais un caractère difficile. Mais, j’ai joué de tout mon cœur et j’ai eu beaucoup de succès. Je suis heureux que les Francais ne m’aient pas oublié. À l'inverse, je ne suis pas content qu'en Croatie, on oublie si facilement.
Source :
http://www.dnevno.hr/sport/sportski-muz ... bec-869235