Pour completer, petite lettre ouvert à Soral trouvée sur Agoravox :
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Lettre ouverte à Alain Soral
Cher Alain - je me permets de te tutoyer bien que nous ne nous connaissions pas personnellement, mais entre républicains, tu sais comme moi que «le tutoiement est de rigueur et qu’on s’honore du titre du citoyen». Ma vie et mes intérêts se trouvant actuellement bien loin de l’Europe, certaines nouvelles de notre continent ne me parviennent qu’avec beaucoup de retard. Ainsi, le sujet dont je vais t’entretenir est certainement déjà connu depuis plusieurs semaines de tous les Français (et des autres) qui s’intéressent à la question, mais il ne me semble pas inutile de rappeler certains événements et de m’adresser directement à toi pour porter à ta connaissance la surprise et l’incompréhension de beaucoup de tes lecteurs et de tes camarades de lutte.
Cette fois, c’est officiel, la nouvelle est tombée comme un couperet, et même en Chine on ne peut plus l’ignorer : tu as adhéré au Front national. Cela fait maintenant plus d’un an que tu travailles comme conseiller de campagne de Jean-Marie Le Pen, et tu as décidé il y a quelques mois de faire ton coming out. Pour les observateurs attentifs de la vie politique française, ça n’aura été qu’une demi-surprise : on t’a reconnu dans un public de partisans FN sur je ne sais plus quel plateau de télévision, et surtout on a reconnu ta plume dans le fameux discours que Jean-Marie Le Pen a prononcé à Valmy, lieu hautement symbolique dont le choix nous étonnera moins si on sait qu’il vient de toi.
Selon toi, tes lecteurs non plus ne devraient pas être surpris, car ceux qui ont su lire entre les lignes ton dernier roman, Chute : éloge de la disgrâce, auraient dû comprendre que le héros de ce roman, Robert Gros, le journaliste intègre et révolté contre la dictature médiatique de la pensée unique, c’était toi. Les vues politiques de Robert Gros étaient, il faut le dire, on ne peut plus claires : intégrer une formation politique déjà existante et suffisamment forte pour permettre un changement, et la travailler de l’intérieur pour le faire évoluer dans le bon sens. Le FN correspond assez bien à cette définition, dans la mesure où il est en pleine mutation, notamment idéologique (la fin proche Le Pen n’y est peut-être pas pour rien), et son positionnement à l’extérieur du système institutionnel laisse une plus grande marge de manoeuvre, un plus grand champ d’action pour un idéologue comme toi. C’est cela, l’avantage de l’opposition sur les partis gouvernementaux : elle est mouvante. Mais tout de même, la taille de ce parti, son étendue, le nombre de ses militants et de ses adhérents, cela n’est-il pas en soi un obstacle, une force d’inertie, rendant très difficile le virage que tu voudrais lui faire prendre ?
Cette stratégie de l’entrisme, dite de Lorenzaccio, elle tente un jour ou l’autre tous les idéalistes. Moi-même, j’ai pu dans le passé éprouver ce genre de pensées coupables à l’égard du Parti socialiste, pensant, dans ma naïveté abyssale, qu’avec quelques efforts, je pourrais le transformer en un vrai parti de gauche ; mais les plus beaux rêves ont une fin. Car que peuvent faire un ou deux individus, aussi audacieux soient-ils, qui nagent à contre-courant dans une marmite aussi bien réglée que celle du PS ?
Tu as au moins raison sur ce point, Alain : le Parti socialiste (je ne fais pas de distinction entre son antenne française et son antenne suisse) est bien un parti en fin de course, alors que le FN pourrait bien encore avoir quelques cartes à jouer. Mais là encore, pour qu’on puisse parler d’une réforme de fond, d’un tournant décisif, un seul homme ne suffira pas, il faudra toute une génération de nouveaux militants pour remuer les vieux cadres et insuffler un nouveau souffle, véritablement populaire et social-républicain. Ce n’est pas une question de temps - cela peut se faire plus vite que nous le pensons - mais de masse critique. Cette génération rénovatrice existe-t-elle aujourd’hui ? Je ne le sais pas car je ne connais pas la situation de l’intérieur (difficile d’être à la fois à Pékin et dans les meetings BBR), et c’est pourquoi je te pose la question. On ne peut toutefois pas nier qu’il y ait eu une évolution, et ceux qui crient encore à la bête immonde ont peut-être, comme tu le dis si bien toi-même, une lutte antifasciste de retard.
A quoi ressemblait le FN il y a à peine vingt ans ? Un parti aux allures extrémistes et butées, mené par quelques leaders franco-impérialistes nostalgiques, regroupant sous son étendard des catholiques intégristes, des partisans de l’Algérie française, des anticommunistes, des royalistes et des milices de jeunes néo-nazis. Qu’est-il aujourd’hui ? Un parti dont la base militante est avant tout ouvrière, un parti populaire qui a troqué son discours réactionnaire et monarchisant contre une ligne républicaine : ce n’est plus à Pétain que l’on se réfère mais aux acquis historiques de la Révolution française, comme l’a très bien rappelé (ou annoncé ?) le discours de Jean-Marie Le Pen devant le moulin de Valmy, symbole de la victoire des troupes révolutionnaires contre la coalition des rois. Les références historiques n’ont rien d’abstrait pour un parti politique ; elles éclairent son identité présente.
Que cela plaise ou non, l’évolution du FN est une évolution plutôt « prolétarienne », et à cet égard, il n’y a rien d’étonnant à ce que toi, Alain, aies été séduit. Mais enfin, cette évolution gauchisante du FN suffit-elle à en faire un parti socialiste ? La transition de ses références historiques, l’assouplissement de sa politique sur l’immigration (en témoignent la dernière campagne d’affichage pour les présidentielles), son nouveau discours ethno-différencialiste (et non plus "suprémaciste" comme avant), sa dénonciation du système UMPS (sigle désormais entré dans le langage commun) et du capitalisme en général, ses accointances de plus en plus fréquentes avec les penseurs de la Nouvelle droite (qui n’a heureusement de droite que le nom), tous ces changements suffisent-ils à faire du FN le parti révolutionnaire auquel toi, moi, et bien d’autres, nous rêvons ? Je n’en suis pas convaincu.
En bon marxiste, tu sais comme moi que c’est la doctrine économique qui est prédéterminante ; quel que soit le nom du futur président de la République, c’est la doctrine économique du vainqueur qui déterminera l’avenir de la France, qui l’élévera vers la prospérité ou la plongera dans la crise, qui ramènera l’équilibre social ou aggravera encore les inégalités. Quel est le programme économique de Le Pen ? Est-il crédible ? Quels changements sont survenus dans ce programme depuis l’époque plus ou moins lointaine où Le Pen se proclamait « le Reagan français » ? Inutile de rappeler que le reaganisme, c’est tout ce que toi, moi et bien d’autres, détestons, ce contre quoi nous luttons depuis toujours, la forme du libéralisme la plus ultra, la pensée économique la plus opposée à notre socialisme.
Le social, c’est le Front national, nous disent les affiches du FN depuis quelques années, serinant que chez eux, on n’est ni de gauche ni de droite, bien au contraire... Economiquement à droite, socialement à gauche, nationalement de France : difficile, là encore, d’imaginer slogan plus démagogue et plus vide de sens ! Tu n’éprouves visiblement pas les mêmes doutes que moi, puisque tu n’hésites pas aujourd’hui à comparer Le Pen avec deux de tes grands modèles politiques : de Gaulle et Chavez... Je ne demande qu’à le croire, mais dis-moi, Alain, quelle est la formule magique pour passer d’une chose à son contraire, pour transformer un Reagan français en Chavez français ?
Ainsi, c’est la raison économique qui me fait aujourd’hui le plus douter de la pertinence de ton engagement. Les gesticulations habituelles des bien-pensants de service sur fond d’antiracisme petit-bourgeois ne retiendront pas mon attention, elles relèvent de querelles dogmatiques qui n’intéressent en rien le quotidien des Français. De même, je ne me mêlerai pas au concert de hurlements des loups qui, jusque parmi mes camarades, recommandent de ne plus te lire maintenant que - selon eux - tu as pactisé avec le diable.
Je n’approuve pas vraiment ton choix (même si je comprends la réflexion qui t’a amené là où tu es), mais je ne remets pas en cause ta sincérité. Je me suis suffisamment intéressé à ton parcours pour savoir une chose : tu ne t’es jamais compromis avec le système, tu n’as jamais hésité à prendre des risques pour tes idées (des risques physiques parfois, comme lors de tes agressions par les milices sionistes), tu as résisté aux menaces comme aux tentations, et si tu as su évoluer, ça n’a jamais été en retournant ta veste. Si tu as rejoint le FN, ce n’est donc en tout cas pas par opportunisme ; si c’était le cas, tu aurais choisi un autre parti.
Tu crois certainement en ce que tu fais puisque tu as pris la décision difficile de condamner une fois de plus ta carrière littéraire. En effet, tu sais pertinemment qu’on n’invitera pas un écrivain estampillé FN à la télévision et que tous les médias bourgeois descendront tes ouvrages en flèche, quand ils ne se contenteront pas de ne pas en parler du tout. Ces médias, qui ne t’avaient pas compris (ou qui t’avaient compris trop bien) ont dépensé beaucoup d’énergie à travestir la portée révolutionnaire de ton travail sous de sulfureuses polémiques sur fond d’antisémitisme ou de mysoginie. Tu leur tends aujourd’hui une perche de plus, bien plus savoureuse à leur goût ; j’en conclus donc que tu sais ce que tu fais, ou du moins que le sacrifice en vaut la peine. Tu rejoins ainsi la longue lignée des Maria-Antonietta Macciocchi, des Marc-Edouard Nabe, des intellectuels parias qui, par probité et par indépendance d’esprit, ont fait le choix de l’ostracisme. Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur, comme tu aimes à le dire.
Lorsqu’en Suisse, j’étais responsable de la formation des jeunes de mon parti (un parti marxiste dont je tairai le nom), il m’arrivait, dans les lectures que je conseillais, à côté de Marx ou de Lénine, de glisser un de tes ouvrages. Quelques-uns grinçaient déjà des dents lorsque j’y ajoutais quelques pages de Proudhon, de Blanqui ou de Thiriart, mais tu imagines que désormais, lire Soral dans ces cercles-là, cela deviendra encore bien plus politiquement incorrect... Mais là n’est pas le problème.
Les autres feront ce qu’ils veulent, mais moi, je continuerai à te lire - j’espère d’ailleurs que ton action politique te laissera un peu de temps pour travailler à de nouveaux ouvrages. Certains ont pu t’accuser de faire de la sociologie de comptoir, mais je leur répondrai qu’on fait une sociologie bien plus fiable en observant le peuple dans les endroits où il vit (et le comptoir en est un) qu’à travers les lucarnes poussiéreuses de je ne sais quelle bibliothèque académique...
On a fait un autodafé des anciens sociologues marxistes, les remplaçant par d’obscurs néo-freudiens à la solde des institutions, mais c’était compter sans la nouvelle génération, celle que tu représentes. Ton analyse judicieuse de la société française et occidentale, tes synthèses percutantes, la manière dont tu as remis la question des classes au centre du débat, tout cela fait que je continuerai de conseiller la lecture des tes ouvrages à quiconque est prêt à jeter un regard critique sur ce qui nous entoure et à remettre en question ses préjugés.
Que ceux qui me lisent s’empressent donc de chercher chez leur libraire les titres suivants, que je ne saurais trop recommander : Socrate à St Tropez, Jusqu’où va-t-on descendre ?, Vers la féminisation, Chute, et le plus indispensable de tous (à mon avis) : Misères du désir. Je pense qu’ils ne seront pas déçus.
J’ignore si le travail que tu entreprends maintenant est une erreur tragique ou si tu fais acte de précurseur, mais cela est au moins révélateur d’une chose : le temps des vieux clivages idéologiques est passé. Qu’importe au fond qu’on soit dit de gauche ou de droite (termes qu’il serait temps de redéfinir), qu’on soit dit progressiste ou conservateur : nous devrons demain nous affirmer comme amis de notre peuple ou comme libéraux, comme partisans d’une Europe indépendante ou comme valets des Etats-Unis, comme patriotes ou comme mondialistes, comme authentiques socialistes ou comme collabos. Toi, moi, et bien d’autres, nous luttons et continuerons à lutter aux côtés des premiers, et ce quelle que soit la couleur du drapeau qui flotte au-dessus de nos têtes.
Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur.