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L’homme qui a dit stop
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL,FRANCK LE DORZE (avec A. D.)
Important industriel local, le président du Stade Brestois est habituellement très discret. Mais, face à la pandémie de coronavirus, il milite, lui, pour un arrêt des compétitions.
BREST – Vous avez le choix. Soit, du centre-ville, vous remontez la rue Jean-Jaurès, prenez à droite, route de Quimper, et vous tombez sur Francis-Le Blé. Soit, du bourg, vous grimpez la rue Saint-Yves, tournez à gauche dans Touroussel, et vous voici au stade Jo-Le Bris.
Dans le premier cas, vous êtes à Brest, dans le second à Bourg-Blanc, une petite commune sise à une quinzaine de kilomètres, au nord. Mais, de ses deux lieux de passion, c’est bien contre toute attente dans le second que vous aurez le plus de chances de saluer Denis Le Saint, président du Stade Brestois depuis près de quatre ans. À cinquante-six ans, volontiers accoudé à la main courante, il ne manque pas une rencontre des Gars Saint-Yves, l’équipe de ses premiers tacles, lui qui fut « un milieu rugueux», comme le qualifie Patrice Arhan, son successeur à la tête du club de Régional 2: « Il est là à tous les matches, que ce soit à domicile ou à l’extérieur. »
Ce n’est plus le cas depuis un mois, en raison de la pandémie de coronavirus. Sur le sujet, habituellement très discret auprès des instances, le président finistérien a alerté ses homologues, quitte à aller à l’encontre du discours officiel. « On ne peut pas parler d’argent dans le foot quand les gens perdent leur vie, c’est indécent, a-t-il déclaré vendredi à L’Équipe. Le Championnat doit s’arrêter. (...) Hors de question que j’amène mon équipe à Paris, en mai ou en juin, pour jouer le match retour contre le PSG. Les risques sont bien trop grands. » Cela aurait été l’un des rares déplacements que Denis Le Saint se serait offert, cette saison. Car, depuis sa prise de fonction, il ne voyage que rarement. « C’est trop loin, justifie Valérie, sa femme. Il bouge déjà beaucoup dans la semaine pour son entreprise, il a une famille… » Et les deux sont intimement liées.
Avec son grand frère Gérard, patron du Brest Bretagne Handball, ils ont repris, en 1998, l’entreprise créée par leurs parents, quarante ans plus tôt. Et elle est devenue l’un des leaders indépendants français de la distribution en circuit court de produits frais, le numéro 1 de la distribution de la restauration collective et commerciale (2 200 salariés, 600 M€ de chiffre d’affaires). Fort de cette croissance, en 2017, le réseau Le Saint a déménagé de Bourg-Blanc à Guipavas, au 160 de la rue… Roberto-Cabañas ! C’était quelques mois après la disparition de l’attaquant paraguayen (en janvier 2017, à 55 ans), que les deux frangins allaient encourager à la fin des années 1980. De supporters, ils vont vite se muer en partenaires. En 1997, ils apparaissent sur les survêtements et sont toujours présents sur les tenues d’entraînement. Début 2016, le président, Yvon Kermarec, cherche des soutiens. Denis Le Saint est sollicité. «Le club n’était pas dans une bonne situation financière et n’avait pas de résultats, expliquet-il. Yvon a voulu que je donne un coup de main. Je me suis occupé de certains dossiers, dont celui des partenaires. Puis il m’a demandé si ça m’intéressait de prendre la relève.» Le chef d’entreprise s’interroge. Et interroge. « On s’est rencontrés et je l’ai encouragé, parce qu’il avait toutes les qualités requises, témoigne Bertrand Desplat, son homologue guingampais, avec qui il était en affaires. C’est un vrai capitaine d’industrie, un bâtisseur et j’ai considéré qu’il aurait un impact fort sur la structuration de son club. »
Dans le fonctionnement opérationnel, déjà. « Les clubs de foot, ce sont des entreprises et mon frère a toujours bien aimé déléguer, expose son aîné. Il dit toujours : “ Il y a plus d’intelligence dans dix têtes que dans une seule.” Il a donc mis en place des gens de confiance. » Il a nommé comme directeur général Pascal Robert, qui a tout connu au club (joueur, entraîneur, commercial). «On a vécu les années noires ensemble, n’a pas oublié ce dernier. C’est un exemple d’humilité, qui a beaucoup fait avancer le club. » Et il a promu Grégory Lorenzi au poste de coordinateur sportif, à 32 ans. « Quand je rentre de vacances, il me propose de l’épauler, tout en continuant à jouer, rappelle l’ancien défenseur. Mais je serais passé pour l’œil du président dans le vestiaire. J’ai donc mis mes états d’âme de côté et arrêté ma carrière. On peut dire que ça fonctionne plutôt bien. »
Outre la remontée en L1, à l’été 2019, le triumvirat s’est attaché à redorer l’image de ce phare du Finistère, avec une présence accrue dans le monde amateur. « On part du principe que l’on ne peut pas recevoir si on ne donne pas, expose Le Saint. On donne un coup de main à de petites structures qui n’arrivent pas à boucler leur budget, avec de l’argent, des maillots. Sinon, on a onze clubs partenaires, pour lesquels on met des moyens techniques à disposition, en échange de la priorité sur des talents émergents. »
Dans les zones d'activité de ses entreprises, le Réseau Le Saint apporte une contribution financière à 155 clubs, dans toutes les disciplines (cyclisme, rugby, basket, voile, escrime…), soit par le biais du sponsoring, soit par celui du mécénat. Y compris des clubs pro, en Bretagne (Nantes, Lorient, Guingamp), mais pas seulement (TFC, Stade Toulousain, Girondins de Bordeaux). Mais le donateur se veut discret. « Je n’ai pas besoin d’exister, personnellement, je ne suis pas du genre à m’exposer », répète-t-il. Les joueurs, eux, le croisent essentiellement au centre d’entraînement, où il vient parfois déjeuner avec des partenaires. Il n’est donc présent ni au moment de leur signature ni dans le vestiaire, les jours de match : « Ce n’est pas ma place. »
Certains avancent, en plaisantant, que c’est pour éviter d’avoir à doubler la prime… «Je n’ai pas de problématique particulière quand je suis avec le groupe pro, jure-t-il. Je m’y sens bien, comme à Bourg-Blanc. On a des gens bien, qui nous ressemblent, qui respectent l’identité du club. » Les fans ont aussi eu à apprivoiser leur président. « Il connaît le foot, mais il n’a pas de vraies discussions de foot, a constaté “Pakito”, un ultra historique. On l’a davantage croisé au Péno (Le Penalty, le bar des supporters) que dans le stade. C’est bon pour sa cote de popularité, mais il n’en joue pas trop. Personne n’a envie de le critiquer publiquement, car on a beaucoup de respect pour cette grande réussite familiale. »
C’est sous couvert d’anonymat que ses (rares) détracteurs s’expriment. « Le président est quelqu’un de très cordial, mais qui a besoin que le Finistère l’aime », affirme un ancien collaborateur du club. Et, il y a quelques mois, l’un des actionnaires majeurs a osé remettre en cause le projet d’emplacement du nouveau stade, à Guipavas. Si, aujourd’hui, Claude Quéguiner se veut plus prudent, il maintient qu’il aurait « aimé participer à l’aventure, comme pour le centre de l’Armoricaine (siège et formation). Je ne suis pas l’homme à faire simplement un chèque de partenariat. Mais c’est le mode de fonctionnement des frères Le Saint, qui est très pro et efficace. » Comme en atteste la réalisation du complexe d’entraînement, déjà à Guipavas.
C’est pour cela que Bernard Segalen assure que son ami d’enfance « a fait plus avancer les choses en quatre ans qu’en trente. On est passés de la cour des miracles à Versailles. » Plus modestement, c’est au stade Jo-Le Bris, son jardin à lui, que Denis Le Saint se sent le mieux. Il lui manque déjà.