Pour ceux qui n'ont pas lu la prose en question :
Citation:
Il ya breton et breton.
Du temps où j’étais ministre de l’enseignement professionnel je m’étais opposé publiquement à Jack Lang à propos du financement public des écoles Diwan. A l’époque le journal "Libération" m'avait donné la parole et réalisé une interview qui me permit d’expliquer mes raisons. Ce texte me valut un très abondant courrier extrêmement hostile et insultant, parfois aussi très menaçant, qui montrait clairement l’origine de ses auteurs et leur appartenance aux milieux de l’extrême droite "identitaire". Naturellement je ne veux pas dire que tous les amis de cette cause très discutable soient liés à l’extrême droite, loin de là. J’ai pu constater à mes dépens qu'un certain suivisme irréfléchi atteint aussi les miens. Ainsi, en pleine campagne référendaire, le Conseil Régional de Bretagne, à l’instigation des "autonomistes" qui y siègent, avec l’approbation enthousiaste des socialistes qui pensaient avoir trouvé un argument de campagne contre le non, vota une résolution pour me flétrir parce que j’avais demandé au ministre de l’intérieur quelle était la légalité d’une de ses délibérations antérieures qui l’avait conduit à reconnaître la "pseudo langue bretonne" comme langue d’usage à l’égal du français. J’écris "pseudo langue bretonne" car ce qui est nommé de cette façon n’est aucune des cinq langues parlées historiquement mais une « langue unifiée » dont le vocabulaire et la grammaire furent fixés à la demande de l’occupant nazi en 1941 par une plume ensuite condamnée à mort par contumace pour sa collaboration avec les tortionnaires de la Gestapo. Je maintiens ma protestation absolue contre la manière honteuse qu’ont les éléments les plus sournois des identitaires ethnicistes de Bretagne d’inclure les bretons d’une manière générale dans leur idéologie et de faire comme s’ils les représentaient tous. Tout au contraire, historiquement les bretons jouent un rôle progressiste et libérateur considérable dans l’histoire de France. C’est le "club des bretons" qui dynamise la grande révolution dans ses heures critiques, ce sont les villes "bleues" de Bretagne qui mettent en échec la chouannerie, traître à la patrie déclarée en danger, quand elle préparait l’invasion anglaise qui aurait pris à revers notre jeune république. Ce sont enfin tous les hommes de l’île de Sein qui s’auto mobilisent et partent rejoindre le combat contre l'occupant nazi à Londres en 1940. Sans oublier le rôle admirable de la classe ouvrière des arsenaux contre les positions de l'armée allemande, ni le martyr lucide des villes bretonnes bombardées à mort par ceux là même qu'elles acclamèrent comme des libérateurs. Par conséquent, cette façon d’embrigader tous les bretons sous une bannière qu’ils n’ont pas demandée (et que je récuse avec eux) m’écoeure autant que celle des islamistes lorsqu’ils prétendent représenter l’islam, l’islam tous les arabes et ainsi de suite. Si je m'émeus, au risque de l'habituelle incompréhension qui accueille ceux que les discours sur les racines identitaires révulsent, c'est donc bien parce que je n'aime pas cette sorte d'annexion de la Bretagne par les méthodes sournoises de l'affichage culturel et folklorique qui permet aux pires aventuriers d'avancer masqués. Car à la suite de nombre des penseurs socialistes je crois qu’il n’y a pas de nationalisme spontané. Il y a des nationalistes qui font campagne. Ils ont une stratégie, des moyens et ils cherchent les circonstances qui leurs sont favorables pour qu'elles s'épanouissent. Exactement comme le fait n’importe quelle force politique. C’est pourquoi je suis spécialement vigilant, après avoir constaté les désastres du Liban ou de l’ex Yougoslavie, en tenant compte de la pression qui s'exerce partout en faveur de la pulvérisation ethnique des Nations, contre tout ce qui de près ou de loin ouvre le chemin de cette sorte de courant politique. La démonstration sur les champs Elysée des groupes folkloriques bretons, si bienveillants et bons républicains que soient ceux qui y ont participé, mérite un message d’alerte à la manipulation. La seule présence parmi les organisateurs d’un manipulateur assumé comme monsieur Le Lay le justifierait à soi seul. Ne s'est-il pas vanté publiquement de faire une télé pour préparer les cerveaux aux messages de la publicité? La retransmission en direct par TF1 doit donner à réfléchir dans le même sens. J’ai lu à ce sujet un « Rebond » dans « Libération » de vendredi 21 septembre sous la plume de l’essayiste Françoise Morvan. Je décide de la reprendre à mon compte. Au moins vous lirez quelque chose une fois dans la semaine qui ne concerne pas Sarkozy. Mais seulement ses copains.
BREIZH TOUCH AU GRISBI
par Françoise Morvan
Essayiste
Auteure du "Monde comme si, nationalisme et dérive identitaire en Bretagne", paru chez Babel/Actes Sud en 2005
"Depuis quelques semaines, les Bretons se sont découverts nantis d’un avantage en nature et, pour certains, en espèces, dénommé Breizh Touch.
La Breizh Touch, présentée par la presse sur le mode exalté, a d’abord laissé ceux qui l’évoquaient légèrement perplexes : fallait-il dire braisetouche, breill’z’touch’, braÿztoutch, brézteutch, breÿc’htaoutch, brèysstatch, brèzteuch ? Breizh, autrement dit Bretagne en breton surunifié, désormais devenu officiel. En effet, en 1941, sur ordre du dignitaire nazi en charge des affaires bretonnes, l’orthographe du breton, déjà unifiée à l’exception de celle du dialecte vannetais, a été surunifiée, le mot Breizh étant le symbole même de cette surunification, le «zh» signifiant que l’on prononce Breih en vannetais et Breiz ailleurs.
Pour les bretonnants de naissance, le mot Breizh, accolé au mot touch, du verbe touchañ, conduire les bestiaux, était énigmatique, mais au diable les hésitations : une fois compris que le mot Bretagne, sous la forme Breizh, uni à un vocable anglo-américain, se change en label commercialisable, tout devient clair.
Et, pour ceux qui peineraient encore à comprendre, en tout petits caractères, au bas d’une affiche montrant une tour Eiffel saucissonnée de manière à ressembler à un phare breton (le célèbre phare du label «produit en Bretagne»), se trouve la traduction : Breizh Touch = esprit Bretagne.
La Breizh Touch, brassant bagadou, cyber-fest-noz (au pluriel: cyberioù-festoù-noz), Breizh-en-Seine avec en prime océan-high-tech, expo-Breizh-numérique et Breizh-parade retransmise dimanche prochain par TF1 en direct des Champs-Elysées, va donc déferler : trois mille sonneurs sonnants défilant en bagadou comme les formations paramilitaires dont ils sont issus - «une panzerdivision, la musique en plus», pour reprendre les termes de Jean-Pierre Pichard, le président du Festival interceltique de Lorient (Ouest-France, 7 août 2007).
C’est lui qui a eu l’idée de cette manifestation paroxystique de la celte attitude unissant Bretons, Irlandais, Gallois et autres frères de race, tels que Galiciens et Acadiens du Nouveau-Brunswick (dont il est convenu de ne pas demander ce qu’ils ont de celte).
La Breizh Touch est le complément de la celte attitude : le Breton qui ne l’a pas est un faux Breton, celui qui n’en veut pas est un mauvais Breton, et celui qui n’apprécie pas la Breizh Touch est un jacobin. Le jacobin est l’ennemi du Breton : il est français. Le Français n’a pas la Breizh Touch ; il a une identité faible, quoi qu’en dise Sarkozy, et n’a donc pas lieu d’en être fier. Le Breton, lui, a une identité forte ; il le prouve par la Breizh Touch qui la promeut ; voilà pourquoi il est fier d’être breton.
Le Breton qui n’est pas fier d’être breton n’est pas un bon Breton, et le Breton qui dit que cette bretonnerie labellisée le dégoûte est antibreton.
L’antibreton, fort susceptible d’être aussi jacobin, vous expliquera que cette opération de business identitaire appuyée par les médias soutenus par des industriels est une opération politique.
L’antibreton évoquera en termes malséants le label «produit en Bretagne» dont le phare sur fond bleu et jaune orne désormais pâtés, andouilles, livres et CD. Il dénoncera l’indispensable «yoghourtisation de la culture». L’expression est de Reynald Secher, auteur d’une Histoire de la Bretagne en bande dessinée dénoncée en son temps dans les colonnes de Libération. «Il faut yoghourtiser la culture bretonne», aurait-il affirmé, d’après le Huchoer, journal indépendantiste breton.
Bien que cela n’intéresse personne, l’antibreton ne manquera pas de rappeler que «produit en Bretagne» est une association émanant de l’Institut de Locarn.
L’association «produit en Bretagne» a été déclarée en préfecture le 9 février 1995 avec pour siège l’Institut de Locarn (cultures et stratégies internationales).
Le 14 mai 1993 avait été déclarée une première association Coudenhove-Kalergi-Aristide-Briand établissant les liens de l’Institut de Locarn avec l’Union paneuropéenne fondée par le comte de Coudenhove-Kalergi.
Les principes de la pan-Europe sont simples : christianisme, anticommunisme, reconnaissance du droit des groupes ethniques à l’autodétermination.
Rien d’étonnant donc si l’archiduc Otto de Habsbourg, son président d’honneur, connu pour ses liens avec l’Opus Dei, est venu en personne inaugurer l’Institut de Locarn.
"Produit en Bretagne" est une association complémentaire, au service d’un projet politique : faire de la Bretagne un dragon celtique dans une Europe des ethnies enfin délivrée de l’esprit des Lumières.
L’antibreton s’acharnera à démontrer que l’Institut de Locarn, rassemblant un club de patrons bretons pleins d’ardeur à servir leur région, nourrit un projet réactionnaire visant à en finir avec l’héritage de la Révolution française : privatisation, libéralisation, démantèlement des lois sociales, recours à l’identitaire pour inscrire la Bretagne dans une Europe des régions unissant les nations celtes en voie d’obtenir leur indépendance. Oui, pourquoi le nier, le pays de Galles, l’Irlande et l’Ecosse doivent servir de référence au modèle breton.
Il faudra bien que le Français à l’identité faible accorde son autonomie au Breton, dont l’identité forte sera révélée sur les Champs-Elysées avec la force d’une panzerdivision par le biniou et, comme le dit Pichard, la musique en plus.
Le vrai Breton est fier que Patrick Le Lay, un des fondateurs de l’Institut de Locarn, et Patrick Poivre d’Arvor s’associent aux patrons bretons pour célébrer son identité et la lui révéler : Le Lay, qui proclame haut et fort qu’il n’est pas français mais breton, nationaliste breton, a déjà fondé TV Breizh avec François Pinault, Rupert Murdoch et Silvio Berlusconi ; quoi de plus naturel qu’il soit associé à son ami Pinault pour célébrer la Breizh Touch ?
L’antibreton, qui se proclame le plus souvent de gauche, ira jusqu’à s’étonner que ce soient des élus socialistes, le président du conseil régional de Bretagne, Jean-Yves Le Drian, qui ait pris l’initiative de cette dérive identitaire brassant tous les vieux thèmes de Breiz Atao à l’ombre du drapeau breton. Rappelons que Breiz Atao est le nom d’un groupe autonomiste breton rendu célèbre par sa collaboration avec les nazis. L’un de ses fondateurs, Maurice, dit Morvan, Marchal, a dessiné en 1923 le drapeau breton à bandes noires et blanches, appelé gwenn-ha-du («blanc et noir»).
L’antibreton dénoncera le communautarisme de la droite du PS, son allégeance au patronat ultralibéral. Il rappellera que Jean-Yves Le Drian, président socialiste du conseil régional, est allé en juin 2006 présenter son programme à l’Institut de Locarn, jurant de faire de la Bretagne une nouvelle Irlande avec l’appui des autonomistes qu’il a fait entrer au conseil régional. Et il relèvera, bien sûr, le coût de la Breizh Touch : 2,5 millions d’euros dont 1,5 million sorti tout droit de la poche des Bretons, qui se prononcent majoritairement, quand on les consulte, contre la décentralisation, sans même parler de l’autonomie, à laquelle ils vont avoir droit, bien qu’ils soient moins de 3 % à la demander.
L’antibreton acharné ira jusqu’à parcourir le site Internet de la Breizh Touch et railler les propos tenus par les grands auteurs invités pour la célébrer.
Il vous citera en ricanant les déclarations d’Irène Frain sur la Breton pride, celles d’Alan Stivell expliquant qu’il a découvert son identité à l’âge de 9 ans, quand son père a inventé la harpe celtique (laquelle allait devenir, comme le drapeau et le bagad, mis au point peu avant, le symbole millénaire de l’identité bretonne) et celles d’Erik Orsenna assurant que, partout dans le monde, il trouve une bouteille de Coca-Cola et un Breton, et qu’il aime mieux le Breton.
L’antibreton, qui ne comprend pas que l’important pour le Breton c’est de faire la fête, dénonce la cocacolisation du Breton après la yogourthisation de la culture, et voit dans la Breizh Touch une bécassinade à relents ethnistes. Une bécassinade ! Quand tant de personnes qui font la preuve de leur compétence dans le domaine qui est le leur participent à cette vaste opération… C’est le comble.
C'est comme ça qu'on les aime les bleus. 1794-2007, la même haine dans le coeur des colonnes infernales.