Voilà
https://www.lequipe.fr/Football/Article ... er/1328567Citation:
Mais pourquoi les joueurs au poteau ont disparu sur corner ?
Cette pratique longtemps répandue pour défendre sur corner est devenue très largement minoritaire dans le football européen. Explications.
Dan Perez
mis à jour le 19 avril 2022 à 18h32
La question part d'un constat. Aucune des équipes du tableau final en Ligue des champions ne laissait un joueur au poteau pour défendre sur corner. Lors du dernier Euro, trois équipes sur les 24 engagées y avaient parfois recours. Et si vous souhaitez brasser encore plus large, on a observé les organisations défensives sur corner des 98 équipes des cinq grands Championnats européens. Près de 85 % d'entre elles ne mettent personne aux poteaux. Ce constat d'une majorité écrasante doit au moins nous pousser à admettre que cette pratique ne relève pas de la lubie, de l'erreur ou de l'incompétence. Peut-être n'ont-ils pas raison, mais leur position mérite d'être examinée et comprise.
Le biais de la balle sauvée sur la ligne
Pour comprendre cette tendance ultra-majoritaire, il faut d'abord se défaire d'un biais tenace. Celui qui consiste à penser qu'une balle sauvée sur la ligne par un joueur au poteau justifie forcément sa présence à cet endroit. Car il faudrait prendre en compte deux facteurs supplémentaires : 1) combien de tirs sont évités en amont, si le joueur en question s'ajoute à ses partenaires dans la masse, à la réception du centre ? 2) la fréquence à laquelle le joueur au poteau intervient suffit-elle à le détacher constamment de la phase de jeu ?
Ce second facteur a d'ailleurs été à l'origine de la décision de nombreux staffs de retirer leur homme du poteau, constatant qu'il était de très loin le joueur au nombre d'interventions défensives le plus réduit sur la durée. En d'autres termes, le sauvetage sur la ligne est spectaculaire et donne envie de croire à la nécessité de la présence d'un joueur supplémentaire à cet endroit. Mais poussons le raisonnement. Sans comparer strictement les deux situations, on pourrait faire reculer un joueur de champ jusqu'au poteau lorsque l'équipe défend très bas dans le jeu. Il sauverait des frappes au but mais serait-ce pour autant une stratégie efficace ?
Quelques faits
- La Serie A est le Championnat où le plus grand nombre d'équipes sont susceptibles de placer au moins un joueur au poteau (Bologne, Empoli, Lazio, Milan, Sassuolo, La Spezia).
- Aucune équipe de Bundesliga ou de Liga n'a recours à cette pratique.
- Des formations comme Milan ou Bologne placent un joueur au premier poteau sur corner rentrant, seulement pour défendre les corners directs. Si le ballon est centré, le joueur en question quitte son poteau.
- Seuls 3,4 % des corners aboutissent à un but.
- Arsenal est la seule équipe à n'avoir encaissé aucun but sur corner cette saison. Elle évolue en zone, ne place personne au poteau et est préparée par le Français Nicolas Jover, spécialiste des coups de pied arrêtés dans le staff du club.
- Les cinq formations concédant le moins d'occasions par corner sont le PSG, Villarreal, Montpellier, Manchester City et Lens. Aucune de ces équipes ne place un joueur au poteau.
Chiffres arrêtés au 8 avril
Éloigner la zone de réception du ballon
L'idée est donc de rendre la reprise adverse plus compliquée et/ou plus éloignée du but. La tâche du gardien sera facilitée et l'équipe aura alors moins besoin de réduire la surface de son but à l'aide de joueurs supplémentaires.
Pour remplir cet objectif, le premier atout est l'aisance de plus en plus grande et répandue des gardiens de but dans les airs, ce qui diminue les possibilités de reprise dans des zones proches de lui.
Le second est lié au marquage de zone qui a trouvé une place importante dans les organisations défensives sur corners au cours de la décennie. Manchester City, Liverpool ou le Bayern y ont recours. Lorsqu'il est efficace, les zones les plus dangereuses sont densément occupées par des joueurs, ce qui pousse l'adversaire à chercher des zones de réception plus éloignées. Et donc à faciliter la tâche du gardien de but. L'équipe préfère donc utiliser deux joueurs supplémentaires pour mieux protéger les zones dangereuses plutôt que de les placer aux deux poteaux.
Dans la même optique, plusieurs équipes qui optent pour un marquage individuel aiment ajouter 2 à 3 joueurs en zone à proximité du but (surtout devant le premier poteau) pour compliquer les reprises de la tête à hauteur des 5,50 mètres. Mais les possibilités de frappe près du but sont logiquement plus fréquentes, et les équipes pratiquant ce type de marquage sont plus représentées parmi celles qui placent au moins un joueur au poteau.
Les corners courts et une histoire de nombre
Le corner court apporte un autre problème. Le corner court ou plutôt son éventualité car l'équipe qui défend doit souvent faire sortir deux joueurs de la zone dangereuse pour aller défendre ce potentiel jeu à deux. La défense a alors huit joueurs à disposition et, si elle est organisée en marquage individuel, le nombre d'attaquants adverses va conditionner le nombre de défenseurs restants. Dans la répartition des tâches, les joueurs censés garder les poteaux sont régulièrement sacrifiés pour éviter de généraliser le un-contre-un sans couverture dans la surface. Ainsi, des équipes comme Clermont, Newcastle ou la sélection finlandaise s'organisent avec un joueur au poteau sauf lorsque l'adversaire est disposé à jouer court.
Les seconds ballons, les contre-attaques et le RC Lens
Dans un football de plus en plus préparé et organisé, les moments de flottements deviennent rares chez l'adversaire mais sont autant d'opportunités à exploiter. Ainsi, les corners défensifs peuvent se transformer en arme de contre-attaque. L'un des intérêts pour l'équipe qui défend le corner est alors de gagner le second ballon, d'autant plus que le tiers des buts encaissés sur corners viennent de ces situations de rebond. Gagner vite le second ballon donc, pour mieux défendre et mieux contre-attaquer. C'est un autre des arguments qui ont convaincu de nombreux staffs de prendre le risque (qu'ils estiment calculé) de retirer leurs joueurs des poteaux pour les placer notamment aux abords de la surface.
Le RC Lens pousse la logique encore plus loin. L'équipe de Franck Haise est en Europe celle qui mobilise le moins de joueurs pour défendre sa surface sur les corners. Un seul joueur supplémentaire est placé près du gardien en zone (deux, trois ou quatre en général dans les autres clubs), pendant que les adversaires sont pris en individuel. Et ça marche même sur le plan défensif. Les Sang et Or sont dans le top 5 des équipes concédant le moins d'occasions des cinq grands Championnats européens.
Nice, porte-drapeau des exceptions
Mettre des joueurs aux poteaux, c'est donc gérer plus difficilement les seconds ballons, concéder plus de frappes et se rendre plus difficile la contre-attaque, mais peut-être assurer davantage la protection de son but. C'est en tout cas ce qu'estime l'OGC Nice et cela lui réussit plutôt bien cette saison. L'an passé, les Aiglons étaient les mauvais élèves de l'Europe avec 11 buts encaissés sur corner, ils en ont encaissé 10 de moins depuis le mois d'août et l'arrivée de Galtier. L'entraîneur français a reproduit son organisation lilloise et prouve que les croyances et la force de conviction du coach sont les ingrédients les plus fondamentaux à la réussite d'un plan, quel qu'il soit. Les chiffres corroborent sa stratégie : Nice accepte de concéder davantage de tirs (86e équipe d'Europe, 1 tir concédé tous les 2 corners quand les meilleures formations tournent à 1 sur 4) mais elle n'a encaissé qu'un but.
Pas de vérités, toujours des explications
L'exemple du Nice de Galtier montre qu'il n'y a jamais de vérités tactiques absolues. Les arguments en faveur de la disparition des joueurs aux poteaux sont certes plus nombreux, et plus documentés actuellement, et ont convaincu une très grande majorité de coaches. D'ailleurs, la réussite défensive de Nice n'est pas suffisante pour équilibrer le rapport de force intellectuel et relancer la mode. Parmi les 31 équipes qui ont pris 3 buts ou moins sur corner dans les cinq grands Championnats européens, seules deux placent au moins un joueur au poteau : Nice et Bologne. Mais l'histoire de la tactique est faite d'idées, de parades et de réponses à la parade. Les mouvements sont souvent cycliques. Alors peut-être, dans dix ans, les poteaux seront à nouveau investis par les latéraux à chaque corner joué, pour de nouvelles raisons que le football n'a pas encore anticipées.