Cadeaux
« Si vous deviez dédier ce trophée à une seule personne, ce serait laquelle ?
À mon papa. C'est lui qui m'a toujours beaucoup accompagné dans ma carrière. C'est un ancien international (Serge Roy, 92 ans, le doyen des Bleus, une sélection). On a toujours été très proches, on a toujours parlé foot et on en parle encore, même s'il est très âgé. C'est quelque chose qui le porte de voir mes matches. Je pourrais aussi le dédier à ceux qui m'accompagnent depuis longtemps : ma femme, mes enfants. Mais je dis mon père parce qu'on a une relation fusionnelle par rapport au foot.
Un peu à Grégory Lorenzi aussi, le directeur sportif de Brest qui vous a choisi il y a deux ans ?
Oui, bien sûr. Tout ce qui se passe ici depuis deux ans, cette aventure incroyable avec Brest, c'est grâce à Greg, parce que c'est lui qui me choisit. Quand il me prend, le risque est énorme. Je n'ai pas entraîné depuis dix ans (une seule expérience, à Nice de mars 2010 à novembre 2011). Je vais installer le trophée quelques jours dans son bureau, il le mérite. (Sourire.)
Racontez-nous le jour où il vous appelle pour vous proposer le poste.
Quinze jours après le licenciement de Michel Der Zakarian (en octobre 2022), Brest vient jouer à Nice, dans ma ville (victoire des Aiglons, 1-0). Je suis au stade, je tombe sur Greg. On discute, il me dit qu'il cherche un entraîneur et me demande ce que je fais. Je lui réponds que j'aimerais bien retrouver un club, mais que personne ne m'en donne l'opportunité. À ce moment-là, il me dit de lui envoyer un mail avec mon CV, qu'il parlera de moi à son président et il s'en va en me disant qu'il me tiendrait au courant.
Et ensuite ?
Le Championnat fait une pause pour laisser la place à la Coupe du monde au Qatar. La compétition se termine et je ne reçois aucune nouvelle. Dans ma tête, je me dis que c'est fini, que le club n'aurait pas attendu un mois en pleine saison pour se décider. Donc, je passe à autre chose et je n'y pense plus. Mais, le 28 décembre, donc quinze jours après la finale du Mondial, je reçois un coup de fil de Greg en fin de matinée. Il me propose de venir à Brest pour rencontrer le président. C'était fou, je n'étais plus du tout dans le truc. Je lui dis : "OK, je te rappelle."
Vous raccrochez ?
Pour regarder les horaires d'avion. (Sourire.) Il était 11 heures. Je me connecte et je vois un vol Nice-Brest à 14 heures. Ils sont très rares ceux-là. Je le rappelle et lui dis que je le prends, que je serai là dans l'après-midi. Le soir même, Brest recevait Lyon en Championnat. C'était parfait, je pouvais vivre l'expérience Francis-Le Blé en spectateur anonyme. Greg me prend une chambre d'hôtel et me dit qu'il viendra me chercher le lendemain pour rencontrer le président Denis Le Saint. Pendant ces dix ans loin des bancs de touche, j'ai eu quatre, cinq opportunités d'entraîner et, à chaque fois, on m'a demandé de faire des présentations, des études d'équipes, des choses très poussées qui demandaient pas mal de travail. Là, je débarque dans l'entreprise du président, sans aucune préparation, pour discuter de tout et de rien, très tranquillement. À aucun moment on ne parle de système de jeu. C'est très convivial. Finalement, je reprends l'avion le soir, Greg me dit qu'il me tient au courant. Le 1er janvier (2023), Brest vient jouer à Monaco, je suis au match, je le croise à nouveau, il ne me dit rien de spécial. (Sourire.) Bon... Le surlendemain, il m'appelle pour me dire que le poste est pour moi. Du jour au lendemain, je me retrouve entraîneur, plus de dix ans après ma dernière expérience.
Il fallait être un peu fou pour nommer Éric Roy entraîneur d'un club à la lutte pour le maintien ?
J'ai fait le métier de Greg pendant des années (Éric Roy a été directeur sportif à Nice, Lens et Watford) et je ne suis pas certain que je me serais choisi. Par rapport à mon parcours, la prise de risque était énorme. Si ça ne marche pas, mais que tu as un entraîneur qui a pignon sur rue, qui possède de l'expérience, comme Fred Antonetti ou Rudi Garcia par exemple, on aurait dit qu'ils avaient récupéré une équipe qui n'avait pas le niveau, qui avait déjà un déficit de points. On n'en aurait pas forcément tenu rigueur à l'entraîneur ou au directeur sportif. En revanche, si tu prends un mec qui n'a pas entraîné depuis dix ans et que ça ne marche pas, on va forcément le reprocher aux dirigeants.
Au début, les supporters de Brest ou le monde du foot n'ont pas très bien compris votre arrivée. Ça vous a touché ?
Oui et non. Mon parcours fait que je suis assez détaché de ça. Ça touche plus tes proches qui t'envoient parfois des extraits d'émissions en commentant : "Regarde ce qu'il a dit sur toi." Mais, par rapport à ce que j'avais au fond de moi, je n'avais pas de doute sur le fait que j'étais peut-être le meilleur choix. Le club avait un cahier des charges un peu compliqué. Il fallait venir seul, travailler avec le staff en place. Ils voulaient aussi quelqu'un avec un parcours un peu différent. Je cochais ces cases.
Comment reste-t-on entraîneur quand on est éloigné des bancs pendant plus de dix ans ?
Déjà, je suis devenu coach par hasard. Jamais je ne m'étais dit pendant ma carrière, qu'il fallait que je passe mes diplômes d'entraîneur. Nice, mon club de coeur, m'a proposé une reconversion très rapide. J'ai travaillé dans le marketing, le commercial, la communication, le merchandising, le développement. J'ai touché à beaucoup de choses et j'ai adoré ça, parce que j'ai toujours été curieux de tout. Puis je suis passé directeur sportif, avant qu'on me demande de prendre l'équipe pour la sauver. À ce moment-là, je n'ai jamais été entraîneur de ma vie. Je me retrouve là par obligation. Je ne me sentais pas de me défiler. Mon club de coeur était dans la panade, sans argent, sans entraîneur, je devais me démerder pour sauver l'équipe. Finalement, on l'a fait. Mais ce qui est fou, c'est que dès ma première causerie, dès mon tout premier entraînement, je me suis senti à ma place. Ç'a tout de suite été une évidence.
Et pourtant, le téléphone n'a plus sonné pendant de nombreuses années...
Je ne suis jamais resté chez moi à ne rien faire. J'ai toujours été proactif. Il y a beaucoup de choses qui m'intéressent ; donc, au bout d'un moment, quand vous ne voyez rien venir, vous partez sur autre chose. J'ai été directeur sportif à Lens, je suis allé en Angleterre pour le même poste à Watford. J'ai aussi fait de la télé, donc il n'y avait pas d'inactivité chez moi. La déception venait surtout du fait que j'avais l'impression d'avoir des choses à apporter, mais que personne ne m'en offrait l'opportunité. La seule chose qui pouvait faire mal, c'était les retours qu'on pouvait me faire. Je n'avais pas d'agent, mais certains parlaient de moi aux présidents. Et souvent, le retour, c'était : "Non mais attends de qui tu me parles ?" Je n'étais pas considéré.
Est-ce qu'à un moment on se dit qu'on n'a pas les épaules pour exercer ce métier ?
Non, pas du tout. Il faut aussi avoir un ego. Un ego bien placé. Moi, je ne suis pas du tout un garçon prétentieux, même si je sais que je peux parfois dégager ça. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. C'est étonnant parce que je rabâche sans cesse à mes joueurs qu'il faut faire preuve de beaucoup d'humilité. C'est la valeur que je trouve la plus adaptée au sport de haut niveau. Mais j'ai toujours eu beaucoup de confiance en moi. J'ai toujours pensé être un vrai professionnel du football. Deux ou trois ans avant d'arriver à Brest, je me dis que je ne reviendrai pas sur un banc. Mais jamais je ne me suis levé un matin en me disant : "À partir d'aujourd'hui, je laisse tomber." Non, je continuais d'avancer.
Est-ce que vous tirez un avantage de votre longue absence ?
J'ai exercé dix métiers différents dans le monde du football. C'est ce qui fait ma richesse. Quand je débarque dans un club, j'arrive à analyser assez rapidement où je me trouve, dans quel contexte, quel environnement, comment sont les supporters, les gens qui travaillent au club. Je ne suis pas centré sur moi-même. Je sais très bien que mon travail impacte le mec au commercial, la communication... Pour qu'il y ait un sentiment d'appartenance, un sentiment de travail collectif, il faut que tout le monde soit reconnu. Même si le foot reste la chose la plus importante, tu ne dois pas négliger le reste. J'aime fédérer, créer du lien avec l'ensemble du club.
Avez-vous été sollicité pendant ces dix années loin des bancs ?
Quelquefois. Lille m'avait appelé au moment où le club cherchait un remplaçant à Hervé Renard (en 2015). Ils avaient choisi Frédéric Antonetti. Lorient m'avait appelé aussi. Ils avaient choisi Bernard Casoni (en 2016). Plusieurs fois, j'ai été dans les derniers, mais sans être choisi.
Est-on prêt à accepter n'importe quoi quand on veut reprendre du service ?
Non. J'ai besoin de sentir les gens avec qui je vais travailler. Pareil pour le projet. Et puis, je n'ai jamais été dans l'urgence financière. C'est quand même un vrai confort. Quelques mois avant de venir à Brest, je n'avais pas non plus été choisi par un club de National. Mais je n'éprouve aucune rancoeur par rapport à tout ça.
Aucun sentiment de revanche ?
Non, vraiment pas. Il y a juste de la satisfaction. Même quand je croise des présidents qui n'ont pas dit des choses toujours très sympas sur moi, ça me fait plaisir de les saluer. Je suis tellement heureux de l'aventure que je vis avec Brest, c'est tout ce qui importe. Je retourne deux ans en arrière, on me raconte ce qui va arriver, je n'y crois pas une seconde. L'intensité des émotions ici, c'est fou. L'opération maintien d'abord, la qualification en Ligue des champions ensuite. Le soir de notre qualification, à Toulouse (3-0, 19 mai), jamais je n'avais ressenti un sentiment pareil. Même quand j'étais joueur. Le soir, tout le monde va faire la fête, moi je n'ai qu'une envie, c'est de rentrer dans ma chambre et d'être seul. Je suis dans mon lit, seul, en lévitation. Quand j'en parle, j'en ai encore des frissons. Je ressens une plénitude totale.
De votre côté, le coup de foudre a été immédiat avec Brest ?
Deux jours après mon arrivée, on reçoit Lille. À ce moment-là, le LOSC vole. Je fais un bilan avec mes joueurs, je leur dis qu'il faut revenir aux bases, jouer bloc bas et essayer de contrer si on peut. Il fallait essayer de se rassurer défensivement. On fait 0-0, mais on n'avait pas vu le ballon. Je souffrais pour mes joueurs. Malgré ça, l'ambiance dans le stade, la manière dont le public a supporté l'équipe alors qu'elle était trimballée, c'était incroyable. Je regardais les tribunes et je me disais : "Putain, c'est fort." J'ai joué à Marseille. Là-bas, quand l'équipe est mal classée, certains joueurs ont peur d'aller sur le terrain. À Brest, je n'ai jamais senti
ça.
En pourcentage, quelle est votre part dans le succès actuel de Brest ?
Ça, je suis incapable de le dire. Mon staff et moi sommes là pour accompagner le groupe. Notre rôle, c'est de mettre les joueurs dans les meilleures conditions possibles par rapport au système, pour qu'ils puissent être épanouis et performer. On leur propose, après ils disposent sur le terrain. C'est important d'être dans un management persuasif. Si des joueurs ne sont pas convaincus par ce que tu leur dis, c'est compliqué. Quand on perd, je m'inclus dedans et je leur dis qu'on a sûrement commis des erreurs. Il faut toujours avoir beaucoup de recul sur soi. Le foot, c'est très primaire, très simple et très compliqué. Quand tu vois un mec comme Rodri (le Ballon d'Or 2024), tu te dis : "Putain, mais c'est simple le foot." Mais non, il a un truc en
plus.
Vous êtes-vous demandé ce qu'il se serait passé si ça n'avait pas marché pas avec Brest ?
Si je ne les sauve pas, je sais que ma carrière de coach est terminée. C'est factuel, c'est comme ça.
Étiez-vous stressé au moment de revenir sur le banc ?
Non. Quand le président et Greg (Lorenzi) me présentent au groupe, je me retrouve face à des gens que je connais à peine. Je n'avais pas vraiment suivi la trajectoire de Brest, mais je me mets tout de suite dedans en faisant passer des entretiens aux joueurs. Je voulais les découvrir, savoir qui étaient les hommes qui se cachaient derrière les joueurs. J'ai des questions types du genre : "À qui dans l'équipe tu confierais l'organisation d'une soirée ?" Ce sont des trucs assez simples, mais ça me permet d'avoir un panorama plus précis.
Est-ce que le vestiaire et les mentalités n'avaient pas trop changé en dix ans ?
J'ai beaucoup profité de mes enfants quand je n'étais pas en poste. J'ai vécu leur adolescence et j'ai vu comment était la nouvelle génération. Du coup, je n'ai pas eu de problème par rapport à ça. Mais ce n'est pas pour autant que j'adhère aux musiques qu'ils mettent dans le vestiaire. (Rire.) Après, si vous posez la question à mes joueurs, peut-être qu'ils vous diront que je suis trop vieux (57 ans). Une relation ne dépend pas des générations. Elle s'instaure en créant du lien, en étant honnête et franc. Je ne dirai jamais des choses pour faire plaisir à mes joueurs.
Est-ce qu'on retrouve subitement des amis quand on revient dans la lumière ?
Forcément. (Sourire.) Il y a beaucoup plus de gens du milieu qui m'appellent pour me rencontrer, connaître mes souhaits. Mais c'est normal, c'est le milieu qui veut ça. Je n'ai pas de problème par rapport à ça.
Vous vous voyez plus comme un manager ou comme un tacticien ?
On peut être les deux. J'aime beaucoup déléguer les choses à mon staff. Parce que j'ai besoin d'avoir du recul. Et parce que j'ai besoin de leur donner cette confiance pour qu'ils soient reconnus des joueurs. Je veux aussi être moins dans le phrasé, pour que mes mots aient plus d'impact au moment où c'est important. En faisant ça, je pense à la notion de manager. Mais ça n'empêche pas d'être un tacticien éclairé. Là-dessus encore, j'échange beaucoup avec mon staff. Je peux leur dire : "Comment tu jouerais toi face à cette équipe ?" Au final, c'est moi qui tranche, mais j'aime libérer la parole et ne pas entendre ce que j'ai forcément envie d'entendre.
Quelle est la philosophie de jeu d'Éric Roy ?
Ça me fait toujours rire ça. Je regarde surtout les joueurs que j'ai et après je dispose en fonction. Donc ma philosophie... L'année où on se sauve, on est une équipe de transition avec Franck Honorat et sa vitesse. L'année d'après, on devient plutôt une équipe de possession, parce qu'il part et qu'il est remplacé numériquement par Romain Del Castillo, qui est son antithèse en étant un joueur de rupture avec une qualité spécifique de passes et de centres. Comme constante, on a toujours essayé de rester une équipe intense, verticale.
Vos joueurs mettent souvent en avant votre côté humain. C'est surtout ça la patte d'Éric Roy ?
Pour moi, c'est juste naturel d'agir comme ça. Quand je préparais mon diplôme, je suis allé rencontrer plein de grands coaches : Didier Deschamps, Pep Guardiola, Arsène Wenger. J'avais aussi demandé audience à Carlo Ancelotti et passé une heure magnifique avec lui. On a tendance à le résumer à son côté sympa. Quand je lui ai dit ça, il m'a répondu : "OK, donc c'est ma gentillesse qui m'a fait gagner autant de Ligue des champions (cinq)." Dans ce métier, il faut être vrai. À moins que le joueur n'ait aucun recul, il préférera toujours que tu lui parles avec franchise et honnêteté. Donc, je ne calcule rien. J'essaye juste de créer un sentiment d'appartenance. J'ai toujours aimé lire des choses sur les grands entraîneurs, peu importe le sport. J'avais été marqué par Phil Jackson aux Bulls de Chicago (basket) et par sa capacité à créer une véritable tribu, avec des rites. Ici, à Brest, on essaye de mettre en place des objectifs sur des périodes précises, avec des récompenses comme des jours de repos supplémentaires ou des invitations au restaurant.
À quoi ressemblerait l'entraîneur idéal ?
La passion de Pep Guardiola. Je mets aussi le charisme de Jürgen Klopp et le management de Carlo (Ancelotti). Ce mélange-là serait assez exceptionnel.
Est-ce qu'il y a des choses que vous n'aimez pas dans ce métier ?
J'ai souvent eu des retours d'entraîneurs qui me disaient qu'ils détestaient les jours de match. Jean-Marc Furlan me disait qu'il se chiait dessus. (Rire.) Moi, c'est tout le contraire, c'est ce que je préfère. Toute la semaine on met des choses en place pour le match et j'ai hâte qu'il débute.
Vous dormez bien depuis que vous gérez une équipe de C1 ?
Je dors super bien. Les journées sont longues, intenses, les matches se répètent beaucoup plus, mais j'adore.
Quand on a goûté au succès avec Brest, n'a-t-on pas envie de viser plus haut ?
On a toujours envie de relever de nouveaux challenges. Alors, ça sera ici ou ailleurs, je n'en sais rien. Mais, même si on m'appelle beaucoup pour la suite, je ne suis pas du tout dans la projection. J'ai envie d'être dans le moment présent, de vivre le truc à fond avec Brest. Je suis en fin de contrat (en juin 2025), on a déjà parlé d'une prolongation, mais je n'ai aucun plan de carrière. Il vaut mieux quand vous regardez mon parcours. (Sourire.) Aujourd'hui, je suis vraiment épanoui ici.
Quel est votre plus grand rêve de coach ?
Gagner la Ligue des champions avec Brest. Et pourquoi pas ? »