Pour ceux qui ne comprennent rien aux banderole.....une petite lecon s'impose
Un registre injurieux répandu
En quelques années d’enquête sur les ultras et autres indépendants, j’en ai vu des banderoles injurieuses. Dans tous les stades de France. Et certaines bien pires que celle de samedi. Ces messages par banderoles interposées s’inscrivent dans une compétition entre ultras où il s’agit de trouver l’insulte ou la vanne qui fera mouche. Dans ce petit jeu, l’ironie féroce, le mauvais goût, l’outrance et la provocation sont prisés. Je ne cherche pas à minimiser la gravité de certains slogans, d’autant qu’ils vont parfois très loin dans la violence verbale. Je souligne juste qu’ils s’inscrivent dans un contexte particulier. Il ne faut absolument pas banaliser ces banderoles. Mais il ne faut pas non plus les surcharger de sens. Comme l’a noté il y a plus de dix ans l’ethnologue Christian Bromberger, « il serait tout aussi fâcheux de décréter l’arbitraire du langage du supportérisme que de lui conférer une excessive plénitude ».
Un double niveau de réception
Le principal problème de ces banderoles, c’est qu’elles ne sont pas lues seulement par ceux auxquels elles sont principalement destinées, à savoir les ultras adverses. Eux en saisissent généralement le caractère humoristique. Ils considèrent que « ça fait partie du jeu » ou que « c’est du folklore ». Si certains ultras lensois ont été choqués par le message de samedi, d’autres m’ont avoué en avoir ri. Sur un forum de supporters, un ultra lensois s’est ainsi moqué des Parisiens : « Vous avez oublié ‘alcooliques’ dans votre message ».
Mais voilà, ces banderoles sont aussi reçues par les autres spectateurs et téléspectateurs qui, ignorant l’existence de ces joutes langagières, prennent le texte au premier degré. Dans le cas des Ch’tis, dont beaucoup considèrent qu’ils ont une mauvaise image et en souffrent, un message aussi stigmatisant est vécu comme une attaque intolérable.
Une banderole qui marque contre son camp
Pourquoi ai-je été consterné par cette banderole en particulier ? Parce que si ce n’est pas la pire, c’est loin d’être la plus drôle. Et parce que prétendre qu’il y a déjà eu pire n’est pas un argument. Surtout, parce que sortir une banderole de ce type dans le contexte actuel est suicidaire. Pendant des années, le monde du football a pudiquement fermé les yeux sur les injures des supporters, sur leurs outrances verbales et même sur les actes racistes de certains d’entre eux. Ce temps-là est révolu. Les autorités sportives et politiques semblent enfin avoir décidé de s’attaquer aux insultes racistes. La multiplication des incidents médiatisés ces derniers temps (affaires Kébé et Ouaddou) ne révèle donc pas tant une hausse des violences physiques et verbales des supporters qu’une prise de conscience de notre société. Mais le changement de cap a été radical. Désormais, le mot d’ordre est la tolérance zéro.
D’où un serrement de vis qui, selon certains ultras, va parfois trop loin. Sous prétexte de lutte contre la violence, les autorités entraveraient leurs activités de supporters, affirment-ils, et iraient jusqu’à interdire tout message critique ou ironique même s’il n’est pas injurieux. Ainsi, le jour de la finale, les Red Tigers de Lens et les Lutèce Falco de Paris ont signé un tract commun dénonçant les conditions de sécurité fixées par le Stade de France qui, selon eux, les empêchaient d’animer les travées (voir un Short Cut paru samedi).
Malheureusement, la banderole de samedi discrédite totalement ce genre de discours. C’est peut-être volontaire, puisque le Kop de Boulogne défend une ligne plus radicale que les ultras du virage Auteuil ou de Lens. En tout cas, cette banderole entretient l’idée, déjà répandue, que les ultras sont tous des cons, des violents, des débiles, etc. Et que, face à de tels individus, la répression et la force sont les seules réponses valables.
Cette banderole marque donc triplement contre son camp. Ses auteurs vont vraisemblablement être lourdement punis. Le PSG risque de fortes sanctions. Et l’ensemble des ultras parisiens, voire français, vont subir les foudres des autorités. Certains parlent déjà de fermer de nouveau la tribune Boulogne ou de dissoudre les Boulogne Boys.
Quelles motivations des auteurs ?
Etant donnés la taille de la banderole et son positionnement, il est difficile de croire, comme l’ont prétendu des porte-parole du Kop de Boulogne, qu’elle n’est l’œuvre que d’individus incontrôlés. Même si nous n’avons pas d’informations précises à ce sujet, la connaissance du monde des tribunes laisse penser que des membres actifs du Kop ont probablement pris cette initiative. Boulogne n’étant pas une tribune uniforme, il est cependant tout à fait possible que ce message ait déplu à d’autres franges de la tribune qui s’en sont depuis désolidarisées. Cela étant dit, pourquoi des membres du Kop de Boulogne ont-ils déployé ce message ? Voulaient-ils, par une provocation aussi énorme, entretenir leur image sulfureuse ? Ou n’ont-ils simplement pas réfléchi à la portée d’une telle injure ? D’après les échos reçus du Kop, c’est sans doute la deuxième hypothèse qu’il convient de privilégier. Alors que la police en est à évoquer des recherches ADN sur la banderole (il faut arrêter de regarder « les Experts »…), les auteurs de ladite banderole n’auraient-ils pas tout intérêt à reconnaître leur geste ? A expliquer qu’ils voulaient certes faire une banderole provocante, mais qu’ils n’avaient pas mesuré la portée qu’elle prendrait ? A regretter ce message et à présenter leurs excuses aux personnes qui ont été blessées ?
Comment lutter contre les violences verbales et physiques ?
Si la levée de boucliers qui a suivi l’exhibition de cette banderole était attendue, l’interprétation qui en est faite a de quoi interroger. Il est légitime de s’étonner que cette banderole ait pu franchir la fouille. De regretter que le quatrième arbitre n’ait pas décidé d’arrêter temporairement le match en attendant que le message soit enlevé. D’espérer que les auteurs de la banderole seront identifiés et sanctionnés. D’en appeler à une politique globale de gestion des supporters, alliant une répression ferme et bien ciblée au dialogue, à l’éducation et à la prévention qui ont également toute leur place (voir « Vers des stades sans violence ? » dans le n° 52 de So Foot). Mais il faut aussi savoir raison garder. Il ne sert à rien de clamer que la loi doit être durcie. Contrairement à ce qui a été affirmé par certains responsables politiques, les textes actuels donnent les moyens nécessaires pour lutter contre les violences verbales et physiques des supporters en général et de sanctionner de manière appropriée ce cas particulier.
On nous parle d’allonger la durée des interdictions de stade (IDS). Mais en faisant parfois des amalgames entre les types d’interdictions, celles prononcées par la justice et celles par les préfets. Faut-il rappeler que la loi permet de prononcer des peines de prison en cas d’incitation à la haine et/ou à la violence dans un stade ? Faut-il rappeler que des IDS judiciaires peuvent aller jusqu’à cinq ans ? Si les IDS administratives sont beaucoup moins longues (trois mois actuellement), c’est parce qu’elles sont décidées par le préfet sans qu’une condamnation judiciaire préalable du supporter soit nécessaire. Ces interdictions administratives ont l’avantage pour les autorités de pouvoir être prises très rapidement, mais elles préservent beaucoup moins les droits de la défense. Plus qu’une augmentation des IDS administratives, l’enjeu me paraît être l’accroissement du nombre des procédures judiciaires.
De la difficulté de l’humour dans les stades
Nous devons également nous interroger sur l’incapacité de notre société à comprendre qu’il s’agissait vraisemblablement là d’une tentative d’humour, certes de très mauvais goût, certes inappropriée en de tels lieux, mais d’une tentative d’humour quand même. Coluche, Desproges, Groland ou Charlie Hebdo dans des styles différents, ne manient-ils pas parfois un humour féroce et grinçant ? Dans ces cas-là, ne défend-on pas la liberté d’expression, le droit à l’ironie et à l’outrance ? Faut-il, là encore, rappeler les arguments mobilisés lors de l’affaire récente des caricatures de Mahomet ?
On pourra objecter à juste titre que, dans un contexte comique, le caractère humoristique est évident alors qu’il ne l’était pas samedi au Stade de France. C’est vrai, et les auteurs de la banderole ne pouvaient l’ignorer. Mais l’image négative des occupants du Kop de Boulogne, qui ne passent habituellement pas pour de gais lurons, a joué dans l’interprétation qui en a été faite. Une banderole de cette nature aurait sans doute moins choqué si elle était venue du Kop lensois, qui jouit lui d’une bonne réputation.
On pourra objecter aussi que, justement, les supporters lensois n’ont pas sorti de tels messages. Pourtant, en se penchant sur les banderoles lensoises de ces dernières années – contre leurs rivaux lillois notamment –, on trouvera d’autres exemples de mauvais goût, certes moins prononcés mais parfois limites.
Soyons donc conscients que, dans un autre contexte et prononcé par d’autres personnes, ce message aurait pu faire rire ceux qui aujourd’hui le dénoncent. Des journalistes (de la subversive rédaction de So Foot, mais pas seulement) m’ont affirmé qu’en se penchant sur les banderoles de ces années passées, ils en avaient découvert certaines qui les avaient bien fait marrer.
Comprendre n’est pas excuser
Enfin, nous devons également nous interroger sur l’incapacité de notre société à comprendre des comportements de ce type. Pire sur son incapacité à chercher à comprendre. On se contente de dénoncer l’inhumanité des auteurs de cette banderole. Or, c’est un peu facile de prétendre qu’ils sont inhumains et que, nous qui les condamnons, n’avons jamais recours à ce type d’humour lourd et gras.
Oui, il faut condamner le racisme et la bêtise. Et lutter activement contre. Comprendre que cette banderole est sans doute un trait d’humour raté ne revient pas à défendre ses auteurs. Mais il faut savoir aussi dépasser le politiquement correct et rappeler que l’humour n’est pas toujours propre. Parfois pour le pire, comme samedi. D’autres fois pour le meilleur.
Par Nicolas Hourcade, sociologue
_________________ Brest Canal Historique.
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